Obscurité ! le songe lève
Son front dans la réalité :
Que serait l’être sans le rêve,
Et la face, le voile ôté ?
L’âme est de l’ombre qui sanglote.
Moi l’atome, j’erre et je flotte.
J’allais, ô pleurs ! j’aimais, ô deuil !
Mon seuil s’ouvre sur le naufrage.
Ma maison, quand la mer fait rage,
Sonne la nuit comme un écueil.
Que dites-vous à l’âme humaine,
Que bégayez-vous pour mon coeur,
Monde ; vision, phénomène,
Eau lugubre, aquilon moqueur ?
A qûoi, sous la neige ou les laves,
Pensent les monts, ces vieux esclaves,
Fouettés de tous les fouets de l’air,
Ces patients du grand supplice,
Vêtus d’ombre, et sous leur cilice
Marqués du fer chaud de l’éclair ?
N’est-il pas lugubre de dire
Que la porte sombre est sans clé,
Que la terre où l’homme respire
Est comme un manuscrit roulé ?
Il semble que toutes les forces
Se donnent pour but les divorces,
Et que la nature ait pour voeu
D’ôter l’aube du cimetière,
D’épaissir l’horreur, la matière
Et l’énigme entre l’homme et Dieu !
Est-ce donc qu’ils sont nécessaires
Tous ces fléaux dont nous souffrons ?
Pourquoi cet arbre des misères
Croisant ses branches sur nos fronts ?
Le mal nous tient. Où sont les causes ?
On dirait que le but des’choses
Est de cacher Dieu qui nous fuit,
Que le prodige obscur nous raille,
Et que le. monde entier travaille
A la croissance de la nuit.
Que regarde dans les bois fauves
Le grand cerf à l’oeil égaré ?
Vénus, qui luis sur les monts chauves,
D’où te vient ton rayon sacré ?
Qu’est-ce que ton anneau, Saturne ?
Est-ce que quelque être nocturne,
Quelque vaste archange puni,
Quelque Satan -dont le front plie,
Fait tourner sûr cette poulie
La chaîne, du puits infini ?
Que tu menaces ou promettes,
Dis-nous le secret de tes pleurs ;
Aube ? Et vous, qu’êtes-vous, comètes,
Faces aux horribles pâleurs ?
Êtes,-vous, dans l’éther qui roule,
Des étoiles dont le sang coule,
Faisant des mares de clarté ?
Venez-vous des noirs ossuaires ?
Êtes-vous, traînant vos suaires,
Les mortes de l’immensité ?
Ô profondeurs épouvantables,
Qu’est-ce donc que vous me voulez ?
Que dois-je lire sur vos tables,
Cieux, temples, porches étoilés ?
Ta rougeur de naphte et de soufre ;
Ta clarté qui m’aveugle, ô gouffre,
Est-ce la vérité qui luit ?
Le vent souffle-t-il sur mon doute
Quand, -penché sur l’ombre, j’écouté
Ce que dit ce crieur de nuit ? –
Par moments, dressé sur ma couche,
Sombre, et peut-être blasphémant,
Je suis prêt à crier, farouche :
Allons ! laisse-moi, firmament !
Par moments, je suis prêt à dire :
Vous dont je sens l’or dans ma lyre,
Le flamboiement dans mon courroux,
L’air dans mes strophes hérissées,
Et les rayons dans mes pensées,.
Astres, de quoi vous mêlez-vous ? ,
En vain j’essaie et je m’élance.
Le gouffre effare le flambeau.
Rien dans le. ciel que le silence,
Rien que l’ombre dans le tombeau !
Oh ! de quelle fosse entr’ouverte,
Sentons-nous le souffle, herbe verte ?
Quels chevaux entend-on hennir ?
Quel fantôme erre en nos décombres ?
Quels yeux voit-on par tes, trous sombres,
Masque. effrayant de l’avenir ?
La vie et la mort ! qu’est-ce, abîme ?
Où va l’homme pâle et troublé ?
Est-il l’autel, bu la victime ?
Est-il le soc ? est-il lé blé ?
Oh ! ces vents que rien ne fait taire !
Que font-ils de nous sur la terre,
Tous ces souffles prodigieux ?
Quel mystère en nous se consomme ?
Qu’apportent-ils de l’ombre à l’homme ?
Qu’emportent-ils de l’homme aux cieux ?
Énigme ! Où je dis : pourriture ;
Le vautour vient et dit : festin !
Qu’est-ce que c’est que la nature ?
Qu’est-ce que c’est que le destin ?
Marchons-nous dans des routes sûres ?
Dépend-il des forces obscures
De tordre là-bas mon chemin ?
Peux-tu, sort fatal qui nous pousses,
Dans l’ombre, à force de secousses,
Changer la forme de demain ?
Toutes ces lois qu’un faux jour perce,
Vie et sort, textes décevants
Dont le sens confus se disperse
Dans l’âpre dispute des vents,
Ce monde où chaque élément jette
Son mot à l’âme qui végète,
Cette nature aux fatals noeuds,
Ce destin hagard qui nous brise,
N’est-ce qu’une sombre méprise,
Malentendu vertigineux !
L’ancre est un poids qui rompt le-câble.
Tout est promis, rien n’est tenu.
Serait-ce donc que l’implacable
Est un des noms de l’inconnu ?
Quel est donc ce maître farouche
Qui pour la toile fait la mouche,
L’orageux cheval pour le mors,
Tous les escaliers pour descendre,
Oui pour non, le feu pour la cendre,
La mémoire pour le remords ?
D’où viennent les soirs, les aurores,
Les flots enflés, les flots décrus,
Les déluges, les météores,
Ces apparus, ces disparus !
Pourquoi le miracle Nature
Contient-il l’effroi, la torture,
Le mal, sur l’homme se courbant ?
Le mal a-t-il le bien pour tige ?
Ou serait-ce que le prodige
Tombe, et devient monstre en tombant ?
Quand dans les forêts forcenées
Court l’ouragan,. ce furieux
Arrache-t-il à nos années
Quelque lambeau mystérieux ?
L’arbre, qui -sort d’une fêlùre,
A-t-il en bas sa chevelure
Qui plonge au globe rajeuni ?
Penseurs, têtes du ciel voisines,
Vos cheveux sont-ils les racines
Par où vous puisez l’infini ?
Est-ce l’effroi des cieux horribles
Que je sens, en moi palpiter.
A de certains moments, terribles,
Où le monde semble hésiter ?
Aux heures où la terre tremble,
Quand la nuit s’accroît, quand il semble
Qu’on voit le flot noir se gonfler,
Quand la lune s’évade et. rampe,
Quand l’éclipse sur cette lampe,
Masque. sinistre, vient souffler ! .
Si vous attendez quelque chose,
Rochers pensifs, dites-le-moi !
Dites-moi de quoi se. compose
Le bien, le mal, le sort, la:loi,
O récifs ! pièges ! araignées !
Foudre qui jettes à poignées
Tes cheveux de flamme aux enfers,
Secouant sur les flots sauvages
Dans l’âpre forêt des nuages
Le hideux buisson des éclairs !
Et toi, la : grande vagabonde,
L’hydre verte au dos tortueux,
Que dis-tu, mer. où l’ombre abonde,
Bouleversement monstrueux ?
O flots ! ô, coupe d’amertume !
Quel symbole êtes-vous, écume,
Bave d’en bas jetée au jour,
Fange insultant l’aube sereine,
Éternel crachat de la haine
A l’éternel front de l’amour !
Laissons les flots battre la plage !
Laissons la mer lugubre en paix !
Et laissons. l’orageux feuillage
Frissonner dans les bois épais !
Ne troublons pas les harmonies
Rauques, étranges, infinies,
Des océans et des typhons !
Laissons les vents à leurs démences !
Et laissons dans les cieux immenses
S’envoler les aigles profonds !
Je vais, j’avance, je recule,
Je marche où plus d’un se perdit ;
Par moments dans ce crépuscule
Une voix lugubre me dit :
-Que cherches-tu ? tout fuit, tout passe.
La terre n’est rien. Et l’espace,
Que contient-il ? Est-ce réel ?
Tu ne peux qu’entrevoir, atome,
La création, ce fantôme,
Derrière ce linceul, le ciel.
Où vas-tu, pauvre âme étonnée ?
Monade, connais-tu l’aimant ?
Que sais-tu de la destinée,
Et que sais-tu du firmament ?
Connais-tu le vrai, le possible,
Tous les réseaux de l’invisible,
Ce qui t’attend, ce qui te suit ?
Connais-tu les lois éternelles ?
Entends-tu les tremblements d’ailes
Dans les grands filets de la nuit ?
Sens-tu parfois, dans l’ombre infâme
Qu’agite un vent farouche et lourd,.
Une toile où se prend ton âme
Et sur laquelle un monstre court ?
Sens-tu parfois, fils de la terre,
S’ouvrir sous tes pieds le mystère,
Et se mêler, ô passant nu,
A tes cheveux que l’hiver mouille,
Les fils de la sombre quenouille,
Les cheveux du front inconnu ?
Certaines planètes fatales,
Certains mirages de l’éther,
Certains groupes d’étoiles pâles
Ont un -rayonnement éclair.
Que sais-tu sur tes mornes grèves ?
Es-tu sûr, au fond de tes rêves,
Que ce que l’ombre aux murs de fer
Couvre comme une épaisse grillé,
Soit le ciel, et que ce qui brille,
O songeur, ne soit pas l’enfer ?
Les constellations tragiques,
Ouvrant siir vous leurs fauves yeux,
Passent, grandes larves magiques,
Sur vos destins mystérieux.
Insensé qui croit les cieux vides !
Quelques-unes, les plus livides,
Apparurent, ô sombre esprit,
En chiffres noirs dans les ténèbres
Sur les dés des jdueurs funèbres
Qui jouaient la robe du Christ.
Mais insensé qui s’imagine
Connaître tous les horizons,
La tombe, la fin, l’origine,
Se dévoue et crie : Avançons !
Insensé ce Jésus lui-même
Qui s’immole parce qu’il aime !
Insensés les audacieux
Qui se jettent dans le cratère,
Rêvant le progrès sur la terre
Ou le paradis dans les cieux !
Quand tu vois rire le squelette,
Es-tu sûr que ce noir rictus
Où le jour d’en -bas se reflète
N’est pas, pour les bons abattus,
Pour les justes sur qui tout pèse,
Pour les martyrs dans la fournaise,
Pour l’esprit croyant et créant,
Pour l’âme espérant sa patrie,
L’épouvantable moquerie
Du tombeau, qui sait le néant ?
Non ! il ne se peut, ô nature,
Que tu sois sur l’homme au cachot,
Sur l’esprit, sur la créature,
De la haine tombant -d’en haut !
Il ne se peut pas que ces forces
Mêlent à tous leurs noirs divorces
L’homme, atome en leurs poings tordu,
Lui montrent l’horreur souveraine,
Et fassent, sans qu’il les comprenne,
Des menaces à l’éperdu !
Il ne se peut que l’édifice
Soit fait d’ombre et de surdité ;
Il ne se peut que sacrifice,
Héroïsme, effort, volonté,
Il ne se peut que la sagesse,
Que l’aube, éternelle largesse,
La rose qui s’épanouit,
Le droit, la raison, la justice,
Tout, la foi, l’amour, aboutisse
Au ricanement de la nuit !
Il ne se peut pas que j’invente
Ce que Dieu n’aurait pas créé !
Quoi ! pas de but ! quoi ! l’épouvante !
Le vide ! le tombeau troué !
Non ! l’être ébauché, Dieu l’achève !
Il ne se peut pas que mon rêve
Ait plus d’azur que le ciel bleu,
Que l’infini soit un repaire,
Que je sois meilleur que le Père,
Que l’homme soit plus grand que Dieu !
Quoi ! je le supposerais juste
Ce Dieu qui serait malfaisant !
C’est moi qui serais l’être auguste,
Et ce serait lui l’impuissant !
L’homme aurait trouvé dans son âme
L’amour, le paradis, la flamme,
La lumière sur la hauteur,
Le bonheur incommensurable…
Dieu ne serait qu’un misérable,
L’homme serait le créateur !
Oui, comme après tout, c’est un songe
Qu’un monde formé de néant,
Qui fit le mal fit le mensonge ;
C’est moi qui reste le géant !
Que ce Dieu vienne et se mesure !
Qu’il sorte donc de sa masure !
Il fit le mal, j’ai cru le bien ;
J’ai contre lui, si je me lève,
Toute la gloire de mon rêve,
Toute l’abjection du sien !
Non ! non ! la fleur. qui vient d’éclore
Me démontre le firmament.
Il ne se peut pas que l’aurore
Sourie à l’homme faussement,
Et que, dans la tombe profonde,
L’âme ait droit de. dire à ce monde
D’où l’espoir toujours est sorti,
A ces sphères, de Dieu vassales,
Affirmations colossales :
Étoiles ! vous avez menti ! .
Ce qui ment, c’est toi, doute ! envie !
Il ne se peut que lé rayon ;
Que l’espérance, que la vie
Soit une infâme illusion !
Que tout soit faux, hors le blasphème !
Et que ce Dieu ne soit lui-même,
Dans son vain temple aérien,
Que l’immense spectre Ironie
Regardant, dans l’ombre infinie,
L’univers accoudé sur Rien 1.
Un Dieu qui rirait de son œuvre,
Qui rirait des justes déçus,
Et du cygne et de la couleuvre,
Et de Satan et de Jésus,
Un tel Dieu serait si terrible
Que, devant cette face horrible,
L’âme humaine se débattrait
Comme si, par ses ailes blanches,
Elle était, prise. sous les branches –
De. quelque, sinistre forêt !
Que Rabelais, rieur énorme,
Railleur de, l’horizon humain,
Borné par le nombre et la forme,
Hue aujourd’hui, sans voir demain ;
Qu’il joue, étant jouet lui-même,
Avec la vie et le problème,
Qu’importe ! il passe, il meurt, il fuit ;
Il n’est ni le fond, ni la cime ;
Mais un Rabelais de l’abîme
Ferait horreur, même à la nuit !
Que les éclairs soient les augures,
Que le vrai sorte du plaintif,
Que les fléaux, sombres figures,
Disent le mot définitif,
Je ne le crois pas ! Vents farouches,
Nuits, flots, hivers, enflez vos bouches,
Tordez ma robe dans mes pas,
Étendez vos mains sur moi, faites
Tous vos serments dans les tempêtes,
Ténèbres, je ne vous crois pas !
Je crois à toi, jour ! clarté ! joie !
Toi qui seras ayant été,
A toi, mon aigle, à toi, ma proie,
Force, raison, splendeur, bonté !
Je crois à toi, toute puissance !
Je crois à toi, tôute innocence !
Encore à toi, toujours à toi !
Je prends mon être pierre à pierre ;
La première est de la lumière,
Et la dernière est de la foi !
Dieu ! sommet ! aube foudrôyante !
Précipice serein ! lueur !
Fascination effrayante
Qui tient l’homme et le rend meilleur !
De toutes parts il s’ouvre, abîme.
Quand on est sur ce mont sublime,
Faîte où l’orgueil toujours s’est tu,
Cime où.vos instincts vous entraînent,
Tous les vertiges qui vous prennent
Vous font tomber dans la vertu.
Donc laissez-vous choir dans ce gouffre,
Vivants ! grands, petits, sages, fous,
Celui qui rit, celui qui souffre,
Vous tous ! vous tous ! vous tous ! vous tous !
Tombez dans Dieu, foule effarée !
Tombez, tombez’ ! roulez, marée !
Et sois stupéfait, peuple obscur,
Du néant des songes sans nombre,
Et d’avoir traversé tant d’ombre
Pour arriver à tant d’azur !
Oh ! croire, c’est la récompense
Du penseur aimant, quel qu’il soit ;
C’est en se confiant qu’on pense,
Et c’est en espérant qu’on voit !
Chante, ô mon coeur, l’éternel psaume !
Dieu vivant, dans ma nuit d’atome,
Si je parviens, si loin du jour,
A comprendre, moi grain de sable,
Ton immensité formidable,
C’est en croyant à ton amour !