I
Amis, loin de la ville,
Loin des palais de roi,
Loin de la cour servile,
Loin de la foule vile,
Trouvez-moi, trouvez-moi,
Aux champs où l’âme oisive
Se recueille en rêvant,
Sur une obscure rive
Où du monde n’arrive
Ni le flot, ni le vent,
Quelque asile sauvage,
Quelque abri d’autrefois,
Un port sur le rivage,
Un nid sous le feuillage,
Un manoir dans les bois !
Trouvez-le-moi bien sombre,
Bien calme, bien dormant,
Couvert d’arbres sans nombre,
Dans le silence et l’ombre,
Caché profondément !
Que là, sur toute chose,
Fidèle à ceux qui m’ont,
Mon vers plane, et se pose
Tantôt sur une rose,
Tantôt sur un grand mont.
Qu’il puisse avec audace,
De tout nœud détaché,
D’un vol que rien ne lasse,
S’égarer dans l’espace
Comme un oiseau lâché.
II
Qu’un songe au ciel m’enlève,
Que, plein d’ombre et d’amour,
Jamais il ne s’achève,
Et que la nuit je rêve
À mon rêve du jour !
Aussi blanc que la voile
Qu’à l’horizon je voi,
Qu’il recèle une étoile,
Et qu’il soit comme un voile
Entre la vie et moi !
Que la muse qui plonge
En ma nuit pour briller,
Le dore et le prolonge,
Et de l’éternel songe
Craigne de m’éveiller !
Que toutes mes pensées
Viennent s’y déployer,
Et s’asseoir, empressées,
Se tenant embrassées,
En cercle à mon foyer !
Qu’à mon rêve enchaînées,
Toutes, l’œil triomphant,
Le bercent inclinées,
Comme des sœurs aînées
Bercent leur frère enfant !
III
On croit sur la falaise,
On croit dans les forêts,
Tant on respire à l’aise,
Et tant rien ne nous pèse,
Voir le ciel de plus près.
Là, tout est comme un rêve ;
Chaque voix a des mots,
Tout parle, un chant s’élève
De l’onde sur la grève,
De l’air dans les rameaux.
C’est une voix profonde,
Un chœur universel,
C’est le globe qui gronde,
C’est le roulis du monde
Sur l’océan du ciel.
C’est l’écho magnifique
Des voix de Jéhova,
C’est l’hymne séraphique
Du monde pacifique
Où va ce qui s’en va ;
Où, sourde aux cris de femmes,
Aux plaintes, aux sanglots,
L’âme se mêle aux âmes,
Comme la flamme aux flammes,
Comme le flot aux flots !
IV
Ce bruit vaste, à toute heure,
On l’entend au désert.
Paris, folle demeure,
Pour cette voix qui pleure
Nous donne un vain concert.
Oh ! la Bretagne antique !
Quelque roc écumant !
Dans la forêt celtique
Quelque donjon gothique !
Pourvu que seulement
La tour hospitalière
Où je pendrai mon nid,
Ait, vieille chevalière,
Un panache de lierre
Sur son front de granit.
Pourvu que, blasonnée
D’un écusson altier,
La haute cheminée,
Béante, illuminée,
Dévore un chêne entier ;
Que, l’été, la charmille
Me dérobe un ciel bleu ;
Que l’hiver ma famille,
Dans l’âtre assise, brille
Toute rouge au grand feu ;
Dans les bois, mes royaumes,
Si le soir l’air bruit,
Qu’il semble, à voir leurs dômes,
Des têtes de fantômes
Se heurtant dans la nuit ;
Que des vierges, abeilles
Dont les cieux sont remplis,
Viennent sur moi, vermeilles,
Secouer dans mes veilles
Leur robe à mille plis !
Qu’avec des voix plaintives
Les ombres des héros
Repassent fugitives,
Blanches sous mes ogives,
Sombres sur mes vitraux !
V
Si ma muse envolée
Porte son nid si cher
Et sa famille ailée
Dans la salle écroulée
D’un vieux baron de fer ;
C’est que j’aime ces âges
Plus beaux, sinon meilleurs,
Que nos siècles plus sages ;
À leurs débris sauvages
Je m’attache, et d’ailleurs
L’hirondelle enlevée
Par son vol sur la tour,
Parfois, des vents sauvée,
Choisit pour sa couvée
Un vieux nid de vautour.
Sa famille humble et douce,
Souvent, en se jouant,
Du bec remue et pousse,
Tout brisé sur la mousse,
L’œuf de l’oiseau géant.
Dans les armes antiques
Mes vers ainsi joueront,
Et, remuant des piques,
Riront, nains fantastiques,
De grands casques au front.
VI
Ainsi noués en gerbe,
Reverdiront mes jours
Dans le donjon superbe,
Comme une touffe d’herbe
Dans les brèches des tours.
Mais, donjon ou chaumière,
Du monde délié,
Je vivrai de lumière,
D’extase et de prière,
Oubliant, oublié !
4 juin 1828.