En ce temps divisé par l’orage et l’espoir
Mauvais temps et printemps
J’écrivis ce poème pour me concilier
Les formes de l’amour les formes de la vie.
I
La nuit et la peur de la nuit toutes les flammes de la nuit
Les interdits les crocs montrés et les griffes sorties
Les couleurs vagues la glace qui transpire le satin éraillé
Elle n’était pas née
Le paysage se fermait comme un caillou
Les hommes s’éveillaient fatigués sans mémoire
La fumée de leurs rêves empestait l’aurore
Elle n’était pas née
Nul ne la connaissait
Pudeur était soûle souillée
Richesse adorait la bêtise
La beauté la pitié abreuvaient des charniers somptueux
Elle n’était pas née
Nul ne la connaissait
Ses yeux étaient fermés
La chair rauque tremblait dans le froid silencieux
Et pour se prolonger le chagrin raisonnait
Des veines de la nuit surgissait une honte insoluble
Elle n’était pas née
Nul ne la connaissait
Ses yeux étaient fermés
Mais elle était déjà debout contre la mort contre la nuit.
II
Celle qui s’est donnée
Douce comme dans l’herbe
L’œil humble d’une source
Celle qui s’est donnée
Plus ferme que pensée
Luttant pour exister
Plus dure que la vie
Entremêlée d’espoir
Graine des fleurs fanées
Celle qui s’est donnée
À partir d’elle tout se donne
Dans la nature et dans l’homme
Tout se donne en silence
En gestes en paroles
Je dessine une femme
Une mère accordée
Au grand jour au passé
Et jusqu’à son déclin
Jusqu’à son renouveau
Je la vois avec ses défauts
Limpide comme un champ de blé
Elle efface le froid
Jeunesse monte dans la terre
Nulle fleur n’est sans racines
L’enfant tient au sein de sa mère.
III
Et la mère devint tout entière et sans honte
Pareille à un anneau
Comblé de chair
Pareille à la clairière idéale à l’oasis de la forêt
L’horizon de verdure entourant un seul fruit
Un anneau elle était pareille à un anneau
Anneau du cœur du corps de l’œil et de la main
Du ventre et de la lune pâle de midi
Le sang humain en elle colorait le monde
Elle devint le prisme et sa voix retentit
Des ailes étendues irisèrent ses rires
Son chant sonna très haut l’évidence et l’exemple
Elle nomma d’emblée toute forme avouée
La courbe de ses bras développa l’étreinte
Et sa bouche enfantine abolit l’ignorance
Le dos droit et les hanches figurant le socle
Assise elle était sage et parlait de construire
Debout elle semblait anéantir le vide
Ses prunelles lavées par la lumière unie
Repeuplaient le désert d’insectes et d’oiseaux
D’insectes et d’oiseaux d’écureuils et de singes
De tous les animaux aériens distrayants
Et d’enfants turbulents échappés à leur geôle
Debout elle avait l’air de composer les jeux
Qui prennent pour pain blanc la merveille des sens
Figurant sur deux bouches des baisers égaux
Elle accordait son cœur au temps qui se dépasse
Elle ne voulait pas joindre vivre et mourir
Elle répétait vivre et brisait les barrières
Elle était trop rapide pour ne pas durer
Dans son orbe brillaient le soc de la charrue
La semence levée et le bloc des moissons
Ses nuages de nuit éclataient de pluie tiède
Un enfant s’allumait dans le flot de son sang
Sa transparence établissait la ressemblance.
IV
Il y avait déjà lisses d’aurore
Des fleurs pour l’éclairer
Il y avait déjà des bourgeons sur les branches
Les rires de la noce avaient passé l’hiver
Il y avait les yeux d’une enfant de vingt ans
Robuste de ses rêves
Et pour demain un autre enfant aussi confiant.
Alliance était raison féconde
Et raison des moins forts et raison de lutter
Pour régner contre le malheur
Il suffit d’avancer pour vivre
D’aller droit devant soi
Vers tout ce que l’on aime
Devant soi la route est légère
Et s’ouvre sur tous les rivages
Derrière il n’y a que des chaînes
La caresse est comme une rose
Qui renforce la nacre d’un midi très chaud
Présence à tout jamais
Rien ne se fait amour qui ne soit d’avenir
La plante lente et sombre qui conquiert le jour
N’a pas d’autre sommet que celui de l’été
Nourri de l’infini des graines sans répit
Qui subliment le joug du trésor de la vie.
V
Terre il fait clair au son d’un jour parfait
Et la passion prend un nouveau visage
Le ventre obscur s’entrouvre à la lumière
La plaine se dévêt un sentier de forêt
Dévide son fuseau sous les pas du soleil
Un enfant vient de naître l’ombre d’un oiseau
Pèse plus lourd que lui sur la terre géante
Il va d’une heure à l’autre avec tranquillité
Le beau temps le pénètre de ses cloches d’or
La cruche de la lune rafraîchit ses moelles
Au golfe du berceau il se noue et s’endort
Et dans les lourds sillons des rêves il confond
Ce qu’il ne peut pas être avec ce qu’il sera
Seul le fouet de la faim l’éveille et le tourmente
Il n’aime pas sa faim mais il aime sa mère
Il aime il est nourri de sa nécessité
Vivre s’entend partout de la même manière
Il faut aimer pour vivre il faut être nourri
De son désir et du plaisir d’être nourri
L’enfant-reflet anime un amour réciproque.
VI
Une perle un amas de sèves conjuguées
Dans un coin sombre où gît l’enfant d’amours banale
Palme de l’avenir couronne non coupable
Un enfant la sortie du dédale de l’âge
Tendre passage du ciel vert dans le feuillage des étoiles
L’herbe fuit sous le vent le printemps s’abandonne
Et dans les mains d’été la mort met ses frissons
Mais l’enfant nouveau-né nie le cours des saisons
Il rayonne il demeure aux portes de la vie
Feu liquide déluge du désir de vivre
Toujours le même enfant immortel éternel
À l’horizon de l’homme même éclat solaire
Et la mousse et la rouille et le cœur sec d’hiver
S’attendrissent fleurissent comme une promesse
Jeunesse ne vient pas au monde elle est constamment de ce monde
VII
Un tout petit enfant un matin d’exception
Fructifiant au ras du sol
Une cendre rougeoyant
Un dimanche visible
Une vague réduite à une goutte d’eau
Une lampe en plein jour.
VIII
Mes souvenirs vont au cœur loin
De chaque enfant inexpressif
Presque gratuit presque innocent
Un enfant à ses premiers jours
Brin d’herbe à peine séparé
Des grandes marées du printemps
Un enfant grand comme un baiser
Futur pour un enfant futur
Première extase du soleil
Brûlant les glaces de rosée
Première soif illuminée
Un enfant immobile et pourtant si agile
Que la nature prend son essor avec lui
La terre est à ses pieds.