I
Oh ! que la Royauté, puissante et vénérable,
Fille, aux cheveux blanchis, des âges révolus,
Perçant de ses clartés leur nuit impénétrable,
Où tant d’astres ne brillent plus ;
Soumettant l’aigle au cygne et l’autour aux colombes ;
S’élevant de tombes en tombes ;
Géant, que grandit son fardeau ;
Consacrant sur l’autel le fer dont elle est ceinte,
Et mêlant les rayons de l’auréole sainte
Aux fleurons du royal bandeau ;
Oh ! que la Royauté, peuples, est douce et belle ! —
À force de bienfaits elle achète ses droits.
Son bras fort, quand bouillonne une foule rebelle,
Couvre les sceptres d’une croix.
Ce colosse d’airain, de ses mains séculaires,
Dans les nuages populaires
Lève un phare aux feux éclatants ;
Et, liant au passé l’avenir qu’il féconde,
Pose à la fois ses pieds, en vain battus de l’onde,
Sur les deux rivages du temps.
II
Aussi, que de malheurs suprêmes
Elle impose aux infortunés,
Qui, sous le joug des diadèmes,
Courbèrent leurs fronts condamnés !
Il faut que leur cœur soit sublime.
Affrontant la foudre et l’abîme,
Leur nef ne doit pas fuir l’écueil.
Un roi, digne de la couronne,
Ne sait pas descendre du trône,
Mais il sait descendre au cercueil.
Il faut, comme un soldat, qu’un prince ait une épée.
Il faut, des factions quand l’astre impur a lui,
Que nuit et jour, bravant leur attente trompée,
Un glaive veille auprès de lui ;
Ou que de son armée il se fasse un cortège ;
Que son fier palais se protège
D’un camp au front étincelant ;
Car de la Royauté la Guerre est la compagne ;
On ne peut te briser, sceptre de Charlemagne,
Sans briser le fer de Roland !
III
Roland ! — N’est-il pas vrai, noble élu de la guerre,
Que ton ombre, éveillée aux cris de nos guerriers,
Aux champs de Roncevaux lorsqu’ils passaient naguère,
Les prit pour d’anciens chevaliers ?
Car le héros, assis sur sa tombe célèbre,
Les voyait, vers les bords de l’Èbre
Déployant leur vol immortel,
Du haut des monts, pareils à l’aigle ouvrant ses ailes,
Secouer, pour chasser de nouveaux infidèles,
L’éclatant cimier de Martel !
Mais un autre héros encore,
Pélage, l’effroi des tyrans,
Pélage, autre vainqueur du Maure,
Dans les cieux saluait nos rangs ;
Au char où notre gloire brille,
Il attelait de la Castille
Le vieux lion fier et soumis ;
Répétant notre cri d’alarmes,
Il mêlait sa lance à nos armes,
Et sa voix nous disait : Amis !
IV
Des pas d’un conquérant l’Espagne encor fumante
Pleurait, prostituée à notre liberté,
Entre les bras sanglants de l’effroyable amante,
Sa royale virginité.
Ce peuple altier, chargé de despotes vulgaires,
Maudissait, épuisé de guerres,
Le monstre, en ses champs accouru ;
Si las des vils tribuns et des tyrans serviles,
Que lui-même appelait l’étranger dans ses villes,
Sans frémir d’être secouru !
Les français sont venus. — Du Rhin jusqu’au Bosphore,
Peuples de l’aquilon, du couchant, du midi,
Pourquoi, vous dont le front, que l’effroi trouble encore,
Se courba sous leur pied hardi,
Nations, de la veille à leur chaîne échappées,
Qu’on vit tomber sous leurs épées,
Ou qui par eux avez vécu,
Empires, potentats, cités, royaumes, princes !
Pourquoi, puissants états, qui fûtes nos provinces,
Me demander s’ils ont vaincu ?
Ils ont appris à l’anarchie
Ce que pèse le fer gaulois ;
Mais par eux l’Espagne affranchie
Ne peut rougir de leurs exploits ;
Tous les peuples, que Dieu seconde,
Quand l’hydre, en désastre féconde,
Tourne vers eux son triple dard,
Ont, ligués contre sa furie,
Le temple pour même patrie,
La croix pour commun étendard.
V
Pourtant, que désormais Madrid taise à l’histoire
Des succès trop longtemps par son orgueil redits,
Et le royal captif que l’ingrate victoire
Dans ses murs envoya jadis.
Cadix nous a vengés de l’affront de Pavie.
À l’ombre d’un héros ravie
La gloire a rendu tous ses droits ;
Oubliant quel français a porté ses entraves,
La fière Espagne a vu si les mains de nos braves
Savent briser les fers des rois !
Préparez, Castillans, des fêtes solennelles,
Des murs de Saragosse aux champs d’Almonacid.
Mêlez à nos lauriers vos palmes fraternelles ;
Chantez Bayard ; — chantons le Cid !
Qu’au vieil Escurial le vieux Louvre réponde ;
Que votre drapeau se confonde
À nos drapeaux victorieux ;
Que Gadès édifie un auteur sur sa plage !
Que de lui-même, aux monts d’où se leva Pélage,
S’allume un feu mystérieux !
Pour témoigner de leurs paroles,
Où sont ces nouveaux Décius ?
Le brasier attend les Scévoles !
Le gouffre attend les Curtius !
Quoi ! traînant leurs fronts dans la poudre,
Tous, de Bourbon, qui tient la foudre,
Embrassent les sacrés genoux !… —
Ah ! la victoire est généreuse,
Leur cause inique est malheureuse,
Ils sont vaincus, ils sont absous !
VI
Un Bourbon pour punir ne voudrait pas combattre.
Le droit de son triomphe est toujours le pardon.
Pourtant des factions que son bras vient d’abattre,
Il éteint le dernier brandon.
Oh ! de combien de maux, peuples, il vous délivre !
Hélas ! à quels forfaits se livre
Le monstre, à ses pieds frémissant !
Nous qui l’avons vaincu, nous fûmes sa conquête.
Nous savons, lorsque tombe une royale tête,
Combien il en coule de sang !
Ô nos guerriers, venez ! vos mères sont contentes !
Vos bras, terreur du monde, en deviennent l’appui.
Assez on vit crouler de trônes sous vos tentes !
Relevez les rois aujourd’hui.
Dieu met sur votre char son arche glorieuse ;
Votre tente victorieuse
Est son tabernacle immortel ;
Des saintes légions votre étendard dispose ;
Il veut que votre casque à sa droite repose
Entre les vases de l’autel !
VII
C’en est fait ; loin de l’espérance
Chassant le crime épouvanté,
Les cieux commettent à la France
La garde de la royauté.
Son génie, éclairant les trames,
Luit comme la lampe aux sept flammes,
Cachée aux temples du Jourdain ;
Gardien des trônes qu’il relève,
Son glaive est le céleste glaive
Qui flamboie aux portes d’Éden !
Novembre 1823.