Je t’ai imaginée

Auteur: Paul Eluard
Année: 1963

Le grand merci que je dois à la vie
Non à la mienne mais à toute vie
Car tu es femme entière à la folie
Et rien n’a pu te réduire à toi-même
Dors mon enfance ma confiance d’or
Sur la litière où nous n’avons qu’un cœur
Fuyez misères à visage d’homme
Veiller sur toi c’est rêver d’être toi

C’est être sérieux
Sans avoir rien appris
Si de raison ma tête s’éclairait
Je ne serais qu’un homme qui a tort
Baiser m’enivre un peu plus qu’il ne faut
Je suis futur et rien n’a de limites
Toi l’endormie moi l’homme sans sommeil
Nous partageons une marge indistincte
De fruits de fleurs de fruits couvrant les fleurs
Et de soleil s’enchevêtrant aux nuits

Comme si la nuit
Était la terre des couleurs
Comme si la verdure et l’automne
Naissaient du gel fixé aux branches
Comme si ces vivants que l’on nomme
Sel de la terre ou lumière de nuit
Ne pouvaient pas se contrefaire
Ne pas avoir un ventre déférent
Des seins décents aimables complaisants
Et ces mains obstinées au travail des caresses
Où en es-tu je vis j’ai vécu je vivrai
Je crée je t’ai créée je te transformerai

Pourtant je suis toujours par toi l’enfant sans ombre
Je t’ai imaginée.

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