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Auteur: Paul Eluard
Année: 1963

Sept fois la réalité
Sept fois sept fois la vérité.

I

Nous étions deux et nous venions de vivre
Une journée d’amour ensoleillé
Notre soleil nous l’embrassions ensemble
La vie entière nous était visible

Quand la nuit vint nous restâmes sans ombre
À polir l’or de notre sang commun
Nous étions deux au cœur du seul trésor
Dont la lumière ne s’endort jamais.

*

Le brouillard mêle sa lumière
À la verdure des ténèbres
Toi tu mêles ta chair tiède
À mes désirs acharnés

*

Tu te couvres tu t’éclaires
Tu t’endors et tu t’éveilles
Au long des saisons fidèles

Tu bâtis une maison
Et ton cœur la mûrit
Comme un lit comme un fruit

Et ton corps s’y réfugie
Et tes rêves s’y prolongent
C’est la maison des jours tendres

Et des baisers de la nuit.

*

Les flots de la rivière
La croissance du ciel
Le vent la feuille et l’aile
Le regard la parole
Et le fait que je t’aime
Tout est en mouvement.

*

Une bonne nouvelle
Arrive ce matin
Tu as rêvé de moi.

*

Je voudrais associer notre amour solitaire
Aux lieux les plus peuplés du monde
Qu’il puisse laisser de la place
À ceux qui s’aiment comme nous
Ils sont nombreux ils sont trop peu.

*

Je m’en prends à mon cœur je m’en prends à mon corps
Mais je ne fais pas mal à celle que j’adore.

II

Rien n’est plus clair que l’amour
Gisant dans son illusion
Debout dans sa vérité.

*

Naître voyant chaque soir
Contre le mal dormir sourd
Rêver sans douter de soi.

*

Les pas de plomb des larmes
Sur les rochers et notre joie
Des feuilles vertes dans les bois.

*

Je suis un étrange animal
Mes oreilles te parlent
Ma voix t’écoute et te comprend.

*

Couloir clair-obscur
Être ou rêver d’être
Se survivre ou naître.

*

Le premier jour je t’embrasse
Le lendemain tu me tutoies
Et pour toujours je crois en toi.

*

Je n’ai rien à gagner
Je t’aime trop pour perdre
Je ne joue plus je t’aime.

III

J’ai rêvé du printemps le printemps a noirci
L’été le fer aussi dans le fruit a noirci

J’aurais pu perdre les couleurs
Qui m’imposaient d’être moi-même et ce que j’aime

J’aurais pu perdre le pouvoir
De savoir le poids du blanc et du noir

Une fleur étincelle au milieu du printemps
Rouille la pluie la ronge et je passe à l’été

Les moissons sont brûlées à nous le renouveau
Fleur et fruit de mémoire ont force d’avenir

J’ai su passer trois ans et des milliers d’années
À vivre comme vivent les soleils couchés.

Maintenant je me lève car tu t’es levée
Rose du feu sur les cendres du feu
Et mon amour est bien plus grand que mon passé.

IV

Être comme un enfant tu es comme un enfant
Grande comme un enfant quand tu es raisonnable
Quand tu fais la grande personne
Quand tu fais tomber le ciel sur la table
D’un geste mieux réglé que celui des saisons
Quand prête à tout créer tu choisis d’imiter

Quand tu me fais rire d’un rire
D’amoureuse pitié.

*

Tu es venue à moi par les voies de l’enfance
Sérieuse comme une herbe et comme une hirondelle

La mi-nuit des matins était tachée d’aurore
Le crépuscule ouvrait avec prudence l’ombre

Pour en chasser les bêtes noires.

*

Je suis entré dans la ronde
De ta vie malgré le temps

Je t’accorde le temps de vivre
Et le temps d’avoir vécu

Tu m’accordes le temps d’être
Avec toi comme un enfant.

*

Que l’hiver aiguise les branches
Pour agripper la mort rêvée
Que des moissons épouvantables
Encombrent la sève des fleuves
Que le gel raisonne la chair
Tu ne me promets que jeunesse.

*

Et je sais que je dois t’aimer
L’hiver se croise avec l’été
La feuille morte tombe dans un bain d’azur.

*

Et je respire et je me double
Du vent qui va vers le printemps
Déserts et ruines mauvais temps
Purifient l’aube des récoltes.

*

Je t’aime j’ai dans les vertèbres
L’émancipation des ténèbres.

V

De la douleur du fond des larmes
Surgissait un oiseau sans ailes
Puis sortait une barque vide.

*

D’une main tenant une main confiante
Tombaient des semences
Rayonnait une seule fleur.

*

Le sang dessinait un cœur
Le cœur dessinait ton corps
Ton corps épousait mon cœur.

*

Il y a des mendiants des plaintes des aumônes
Il y a des secrets des mensonges des traîtres
Et plus près et plus loin il y a nos aveux.

*

Un tout petit visage au sommet d’un grand corps
Un corps réduit à rien par un ardent visage
L’amour est plus léger que le désir d’aimer.

*

Donner à boire et donner à manger
À ces enfants que nous imaginons
Qui n’ont que nous comme fortune.

*

Quand le soleil l’amour équilibre nos armes
Nous pouvons nous voir vivre
Notre sève s’enflamme dans notre miroir.

VI

Il faudra se lever demain matin très tôt
Dans le noir sous le coup d’un dégoût enfantin

À l’heure noire se lever pour y voir clair.

*

Tu fuis contre le vent la jupe ramassée
Les cheveux en déroute sous la pluie furieuse

Le ciel est inondé la terre est détrempée.

*

Découverte d’un désert
Où la lumière est timide.

*

Et l’horizon fuit avec toi contre le vent
Fuit avec moi nous enfermant.

*

Aller sans fin c’est aller loin
Il pleut sans fin il fera beau bientôt

*

Nous sommes bien venus de plus loin l’un vers l’autre
Sans grand espoir de grand soleil et de pain chaud

Mais pourtant le flot des moissons brûlait le mauvais temps.

*

Une seule goutte d’eau
Multipliait ses halos

Dans l’anneau d’une alliance.

VII

La ruche de ta chair sous l’unique soleil
Dora d’unique miel mon ciel qui s’éveillait.

*

Une femme c’est toi
Un amoureux c’est moi

*

Par la caresse nous sortons de notre enfance
Mais un seul mot d’amour et c’est notre naissance.

*

Un baiser calme dans la nuit
Les plus lourdes ombres s’enfuient.

*

Même sommeil même réveil
Nous partageons nos rêves et notre soleil.

*

Diverses douceurs diverses couleurs
Tu ne m’es jamais étranger mon cœur

*

Parle je suis l’écho de tout ce que tu dis
Tout en haut de mon mur tu retrouves ton nid.

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