De solitude en solitude vers la vie

Auteur: Paul Eluard
Année: 1963

En ce temps-là, une extraordinaire résignation avait succédé à la terreur et à la révolte. Saintes et martyrs pullulaient.

I

Je suis douce avec les forts
Je suis faible avec les doux
Je sais les mots qu’il faut dire
Pour n’inspirer que l’oubli

Je suis fille d’un lac
Qui ne s’est pas terni
D’un ciel limpide et bleu
Jusqu’à mes pieds tranquilles

Et fille d’un printemps
Qui ne finit jamais
Je ris des viols absurdes
Je suis toujours en fleur.

II

Pour tenir comme il se doit
Son rôle dans les ténèbres
Il se noue à la prison
Il en reflète les murs

Sa cruche est de chair immonde
Sa faim ressemble à son pain
Nul espoir ne le distrait
Et la porte joue pour rien

Volute de sang de feu
Toute couverte d’épines
L’air qu’il respire déchire
Sa nudité intérieure

Demain de son cœur rouillé
Les vers même s’en iront
La place sera déserte
Dans un éternel désert

III

Né de la sainte et du martyr
Voici pourtant l’enfant parfait
Au sommet d’une aurore intime

Léger et lourd comme un enfant
Il met au monde la confiance
Autant de soleils que de nuits

Il a ses mains dans les ruisseaux
Sa bouche danse en embrassant
Et ses yeux sont des chiens fidèles

Au crépuscule il est petit
Rêve et sommeil le dissimulent
Amour le fait grandir et jouir.
Décembre 1945.

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