Armure de proie

Auteur: Paul Eluard
Année: 1929

Armure de proie le parfum noir rayonne
Les arbres sont coiffés d’un paysage en amande
Berceau de tous les paysages les clés les dés
Les plaines de soucis les montagnes d’albâtre
Les lampes de banlieue la pudeur les orages
Les gestes imprévus voués au feu
Les routes qui séparent la mer de ses noyés
Tous les rébus indéchiffrables.

La fleur de chardon construit un château
Elle monte aux échelles du vent
Et des graines à tête de mort.
Des étoiles d’ébène sur les vitres luisantes
Promettent tout à leurs amants
Les autres qui simulent
Maintiennent l’ordre de plomb.

Muet malheur de l’homme
Son visage petit matin
S’ouvre comme une prison
Ses yeux sont des têtes coupées
Ses doigts lui servent à compter
À mesurer à prendre à convaincre
Ses doigts savent le ligoter.

Ruine du public
Son émotion est en morceaux
Son enthousiasme à l’eau
Les parures suspendues aux terreurs de la foudre
Pâturages livides où des rochers bondissent
Pour en finir
Une tombe ornée de très jolis bibelots
Un voile de soie sur les lenteurs de la luxure
Pour en finir
Une hache dans le dos d’un seul coup.

Dans les ravins du sommeil
Le silence dresse ses enfants
Voici le bruit fatal qui crève les tympans
La poussiéreuse mort des couleurs
L’idiotie
Voici le premier paresseux
Et les mouvements machinaux de l’insomnie
L’oreille les roseaux à courber comme un casque
L’oreille exigeante l’ennemie oubliée dans la brume
Et l’inépuisable silence
Qui bouleverse la nature en ne la nommant pas
Qui tend des pièges souriants
Ou des absences à faire peur
Brise tous les miroirs des lèvres.

En pleine mer dans des bras délicats
Aux beaux jours les vagues à toutes voiles
Et le sang mène à tout
C’est une place sans statue
Sans rameurs sans pavillon noir
Une place nue irisée
Où toutes les fleurs errantes
Les fleurs au gré de la lumière
Ont caché des féeries d’audace
C’est un bijou d’indifférence
À la mesure de tous les cœurs
Un bijou ciselé de rires
C’est une maison mystérieuse
Où des enfants déjouent les hommes.

Aux alentours de l’espoir
En pure perte
Le calme fait le vide.

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