Vous avez dans le port poussé ma voile errante ;
Ma tige a refleuri de sève et de verdeur ;
Seigneur, je vous bénis ! de ma lampe mourante
Votre souffle vivant rallume la splendeur.
Surpris par l’ouragan comme un aiglon sans ailes,
Qui tombe du grand chêne au pied de l’arbrisseau,
Faible enfant, du malheur j’ai su les lois cruelles.
L’orage m’assaillit voguant dans mon berceau.
Oui, la vie a pour moi commencé dès l’enfance,
Quoique le ciel jamais n’ait foudroyé de fleurs,
Et qu’il ne veuille pas qu’un être sans défense
Mêle à ses premiers jours l’amertume des pleurs.
La jeunesse en riant m’apporta ses mensonges,
Son avenir de gloire, et d’amour, et d’orgueil ;
Mais quand mon cœur brûlant poursuivait ces beaux songes ;
Hélas ! je m’éveillai dans la nuit d’un cercueil.
Alors je m’exilai du milieu de mes frères.
Calme, car ma douleur n’était pas le remords,
J’accompagnais de loin les pompes funéraires :
L’hymne de l’orphelin est écouté des morts.
L’œil tourné vers le ciel, je marchais dans l’abîme ;
Bien souvent, de mon sort bravant l’injuste affront,
Les flammes ont jailli de ma pensée intime,
Et la langue de feu descendit sur mon front.
Mon esprit de Pathmos connut le saint délire,
L’effroi qui le précède et l’effroi qui le suit ;
Et mon âme était triste, et les chants de ma lyre
Étaient comme ces voix qui pleurent dans la nuit.
J’ai vu sans murmurer la fuite de ma joie,
Seigneur ; à l’abandon vous m’aviez condamné.
J’ai, sans plainte, au désert tenté la triple voie ;
Et je n’ai pas maudit le jour où je suis né.
Voici la vérité qu’au monde je révèle :
Du ciel dans mon néant je me suis souvenu.
Louez Dieu ! la brebis vient quand l’agneau l’appelle ;
J’appelais le Seigneur, le Seigneur est venu.
Il m’a dit : — Va, mon fils, ma loi n’est pas pesante !
Toi qui, dans la nuit même, as suivi mes chemins,
Tu ceindras des heureux la robe éblouissante ;
Parmi les innocents tu laveras tes mains. —
Je ne veux plus de loin t’offrir ma vie obscure,
Gloire, immortel reflet de l’éternel flambeau,
Du génie en son cours trace éclatante et pure,
Ou rayon merveilleux, émané d’un tombeau !
Un ange sur mon cœur ploie aujourd’hui ses ailes.
Pour Elle un orphelin n’est pas un étranger ;
Les heures de mes jours à ses côtés sont belles ;
Car son joug est aimable et son fardeau léger.
Vous avez dans le port poussé ma voile errante ;
Ma tige a refleuri de sève et de verdeur ;
Seigneur, je vous bénis ! de ma lampe mourante
Votre souffle vivant rallume la splendeur.
Août 1823.