À mes odes

Auteur: Victor Hugo
Année: 1828

I

Mes odes, c’est l’instant de déployer vos ailes.
Cherchez d’un même essor les voûtes immortelles ;
Le moment est propice… Allons !
La foudre en grondant vous éclaire,
Et la tempête populaire
Se livre au vol des aquilons.

Pour qui rêva longtemps le jour du sacrifice,
Oui, l’heure où vient l’orage est une heure propice ;
Mais moi, sous un ciel calme et pur,
Si j’avais, fortuné génie,
Dans la lumière et l’harmonie
Vu flotter vos robes d’azur ;

Si nul profanateur n’eût touché vos offrandes ;
Si nul reptile impur sur vos chastes guirlandes
N’eût traîné ses nœuds flétrissants ;
Si la terre, à votre passage,
N’eût exhalé d’autre nuage
Que la vapeur d’un doux encens ;

J’aurais béni la muse et chanté ma victoire.
J’aurais dit au poëte, élancé vers la gloire :
« Ô ruisseau ! qui cherches les mers,
Coule vers l’océan du monde
Sans craindre d’y mêler ton onde ;
Car ses flots ne sont pas amers. »

II

Heureux qui de l’oubli ne fuit point les ténèbres !
Heureux qui ne sait pas combien d’échos funèbres
Le bruit d’un nom fait retentir !
Et si la gloire est inquiète,
Et si la palme du poëte
Est une palme de martyr !

Sans craindre le chasseur, l’orage ou le vertige,
Heureux l’oiseau qui plane et l’oiseau qui voltige !
Heureux qui ne veut rien tenter !
Heureux qui suit ce qu’il doit suivre !
Heureux qui ne vit que pour vivre,
Qui ne chante que pour chanter !

III

Vous, ô mes chants, adieu ! cherchez votre fumée !
Bientôt, sollicitant ma porte refermée,
Vous pleurerez, au sein du bruit,
Ce temps où, cachés sous des voiles,
Vous étiez pareils aux étoiles
Qui ne brillent que pour la nuit ;

Quand, tour à tour, prenant et rendant la balance,
Quelques amis, le soir, vous jugeaient en silence,
Poëtes, par la lyre émus,
Qui fuyaient la ville sonore,
Et transplantaient les fleurs d’Isaure
Dans les jardins d’Académus.

Comme un ange porté sur ses ailes dorées,
Vous veniez, murmurant des paroles sacrées,
Pour abattre et pour relever,
Vous disiez, dans votre délire,
Tout ce que peut chanter la lyre,
Tout ce que l’âme peut rêver.

Disputant un prix noble en une sainte arène,
Vous laissiez tout l’Olympe aux fils de l’Hippocrène,
Rivaux de votre ardent essor ;
Ainsi que l’amant d’Atalante,
Pour rendre leur course plus lente,
Vous leur jetiez les pommes d’or.

On vous voyait, suivis de sylphe et de fées,
Liant d’anciens faisceaux à nos jeunes trophées,
Chanter les camps et leurs travaux,
Ou pousser des cris prophétiques,
Ou demander aux temps gothiques
Leurs vieux contes, toujours nouveaux.

Souvent vos luths pieux consolaient les couronnes,
Et du haut du trépied vous défendiez les trônes ;
Souvent, appuis de l’innocent,
Comme un tribut expiatoire,
Vous mêliez, pour fléchir l’histoire,
Une larme à des flots de sang.

IV

C’en est fait maintenant, pareils aux hirondelles,
Partez ; qu’un même but vous retrouve fidèles.
Et moi, pourvu qu’en vos combats
De votre foi nul cœur ne doute,
Et qu’une âme en secret écoute
Ce que vous lui direz tout bas ;

Pourvu, quand sur les flots en vingt courants contraires
L’ouragan chassera vos voiles téméraires,
Qu’un seul ami, plaignant mon sort,
Vous voyant battus de l’orage,
Pose un fanal sur le rivage,
S’afflige, et vous souhaite un port ;

D’un œil moins désolé je verrai vos naufrages.
Mais le temps presse, allez ! rassemblez vos courages ;
Il faut combattre les méchants.
C’est un sceptre aussi que la lyre !
Dieu, dont nos âmes sont l’empire,
À mis un pouvoir dans les chants.

V

Le poëte, inspiré lorsque la terre ignore,
Ressemble à ces grands monts que la nouvelle aurore
Dore avant tous à son réveil,
Et qui, longtemps vainqueurs de l’ombre,
Gardent jusque dans la nuit sombre
Le dernier rayon du soleil.

1823.

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