À l’échelle humaine

Auteur: Paul Eluard
Année: 1945

à la mémoire du colonel Fabien et à Laurent Casanova qui m’a si bien parlé de lui.

On a tué un homme
Un homme un ancien enfant
Dans un grand paysage
Une tache de sang
Comme un soleil couchant
Un homme couronné
De femmes et d’enfants
Tout un idéal d’homme
Pour notre éternité

Il est tombé
Et son cœur s’est vidé
Ses yeux se sont vidés
Sa tête s’est vidée
Ses mains se sont ouvertes
Sans une plainte
Car il croyait au bonheur
Des autres
Car il avait répété
Je t’aime sur tous les tons
À sa mère à sa gardienne
À sa complice à son alliée
À la vie
Et il allait au combat
Contre les bourreaux des siens
Contre l’idée d’ennemi

Et même les pires jours
Il avait chéri sa peine
Sa nature était d’aimer
Et de respecter la vie
Sa nature était la mienne

Rien qu’un seul jet de courage
Rien que la grandeur du peuple
Et je t’aime finit mal
Mais il affirme la vie
Je t’aime c’était l’Espagne
Qui luttait pour le soleil
C’est la région parisienne
Avec ses chemins puérils
Avec ses enfants gentils
Et le premier attentat
Contre les soldats du mal
Contre la mort répugnante
C’est la première lumière
Dans la nuit des malheureux
Lumière toujours première
Toujours parfaite
Lumière de relation
Ronde de plus en plus souple
Étendue et animée
Graine et fleur et fruit et graine
Et je t’aime finit bien
Pour les hommes de demain.

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