Un de plus
Un sans raison
Mais puisque les autres
Se posent les questions des autres
Et leur répondent avec les mots des autres
Que faire d’autre
Que d’écrire, comme les autres

Et d’hésiter
De répéter
Et de chercher
De rechercher
De pas trouver
De s’emmerder
Et de se dire « ça sert à rien »

Il vaudrait mieux gagner sa vie
Mais ma vie, je l’ai, moi, ma vie
J’ai pas besoin de la gagner
C’est pas un problème du tout
La seule chose qui en soit pas un
C’est tout le reste, les problèmes
Mais ils sont tous déjà posés
Ils se sont tous interrogés
Sur tous les plus petits sujets
Alors moi qu’est-ce qui me reste ?

Ils ont pris tous les mots les plus commodes
Les beaux mots à faire du verbe
Les écumants, les chauds, les gros
Les cieux, les astres, les lanternes
Et ces brutes molles de vagues
Ragent rongent les rochers rouges
C’est plein de ténèbres et de cris
C’est plein de sang et plein de sexe
Plein de ventouses et de rubis
Alors moi qu’est-ce qui me reste ?

Faut-il me demander sans bruit
Et sans écrire et sans dormir
Faut-il que je cherche pour moi
Sans le dire, même au concierge
Au nain qui court sous mon plancher
Au papaouteur dans ma poche
Ni au curé de mon tiroir
Faut-il faut-il que je me sonde
Tout seul sans une sœur tourière
Qui vous empoigne la quèquette
Et vous larde comme un gendarme
D’une lance à la vaseline
Faut-il faut-il que je me fourre
Une tige dans les naseaux
Contre une urémie du cerveau
Et que je voie couler mes mots

Ils se sont tous interrogés
Je n’ai plus droit à la parole
Ils ont pris tous les beaux luisants
Ils se sont tous installés là-haut
Où c’est la place des poètes
Avec des lyres à pédale
Avec des lyres à vapeur
Avec des lyres à huit socs
Et des Pégases à réacteur
J’ai pas le plus petit sujet
J’ai plus que les mots les plus plats
Tous les mots cons tous les mollets
J’ai plus que me moi le la les
J’ai plus que du dont qui quoi qu’est-ce
Qu’est, elle et lui, qu’eux nous vous ni
Comment voulez-vous que je fasse
Un poème avec ces mots-là ?
Eh ben tant pis j’en ferai pas!