1817 ADOLESCENCE

J’allais au Luxembourg rêver, ô temps lointain,
Dès l’aurore, et j’étais moi-même le matin:
Les nids dialoguaient tout bas, et les allées,
Désertes, étaient d’ombre et de soleil mêlées;
J’étais pensif, j’étais profond, j’étais niais,
Comme je regardais et comme j’épiais!
Qui? La Vénus, l’Hébé, la nymphe chasseresse.
Je sentais du printemps l’invisible caresse.
Je guettais l’inconnu. J’errais. Quel curieux
Que Chérubin en qui s’éveille Des Grieux!
O femme! mystère! »être ignoré qu’on encense!
Parfois j’étais obscène à force d’innocence.
Mon regard violait la vague nudité
Des déesses, debout sous les feuilles l’été;
Je contemplais de loin ces rondeurs peu vêtues,
Et j’étais amoureux de toutes les statues;
Et j’en ai mis plus d’une en colère, je crois.
Les audaces dans l’ombre égalent les effrois,
Et, hardi comme un page et tremblant comme un lièvre,
Oubliant latin, grec, algèbre, ayant la fièvre
Qui résiste aux Bezouts et brave les Restauts,
Je restais là stupide au bas des piédestaux,
Comme si j’attendais que le vent sous quelque arbre
Soulevât les jupons d’une Diane en marbre.

10 septembre 1873. Sur l’impériale d’un omnibus.

*

1820

Printemps. Mai le décrète, et c’est officiel.
L’amour, cet enfer bleu très ressemblant au ciel,
Emplit l’azur, les champs, les prés, les fleurs, les herbes;
Dans les hautes forêts lascives et superbes

L’innocente nature épanouit son coeur
Simple, immense, insulté. par le merle moqueur.
La volonté d’aimer régné, surnaturelle,
Partout. -Comme on s’adore et comme on se querelle!
Les papillons, lâchés dans le bois ingénu,
Font avec le premier bouton de fleur venu
Des infidélités aux roses, leurs amantes;
On entend murmurer les colères charmantes,
Et tous les grands courroux des belles s’apaiser
Dans le chuchotement auguste du baiser.
O but profond des cieux, la vie universelle!
Comme, afin que tout soit solide, tout chancelle!
Comme tout cède afin que tout dure! ô rayons!
L’idylle en souriant dit au gouffre: Essayons!
Et’le gouffre obéit; et la mer sombre adore.
Le germe éclot, le nid chante, l’azur se dore;
L’éternelle indulgence au fond du firmament
Rêve; et les doux fichus s’envolént vaguement.

10 avril 1875.

*

1833 A J…

Puisque le gai printemps revient danser et rire,
Puisque le doux Horace et que le, doux Zéphyre
M’attendent au milieu des prés et des buissons,
L’un avec des parfums, l’autre avec des chansons,
Puisque la terre en fleurs semble un tapis de Perse,
Puisque le vent murmure et dans l’azur dis
perse
La brume -et la nuée en flottants archipels,
Il me plaît de répondre à ces profonds appels,
Il me plaît de rôder dans les molles prairies,
Entraînant avec moi l’essaim des rêveries
Et la strophe qui vole au-dessus de mon front;
Tant que sous le ciel bleu les âmes aimeront,
Tant qu’avril, ce brodeur, avec l’herbe et les roses
Et les feuilles, créera toutes sortes de choses
Charmantes, et que Dieu, des monts, des airs, des eaux,
Fera de grands palais pour les petits oiseaux,
Tant que l’aube éclora dans cette ombre où nous sommes,
Les songes tourneront sur la tête des hommes,
Et les penseurs seront attendris dans les bois.
Les frais halliers sont pleins de pudeurs aux abois,
Femmes, oiseaux, tout cède et les baisers se mêlent,
Les adorations vaguement se querellent,
L’eau soupire, le lys s’ouvre, le firmament
Rayonne, et, si tu veux, je serai ton amant.

4 mai.

*

1835 PROMENADE

Je t’adore. Soyons deux heureux. Viens t’asseoir
Dans une ombre qui soit un peu semblable au soir.
Marchons bien doucement. Sois pensive. Sois lasse.
Profitons du moment où personne ne passe;
Entrons dans le hallier, cachés par les blés mûrs.

Que ne puis-je élever brusquement quatre murs
Ici, dans ce coin chaste, et d’un coup de baguette!
La nature est un oeil invisible qui guette;
Glissons-nous; le silence entend; défions-nous
Du bruit que fait-une âme embrassant deux genoux,
Car, moi, je ne suis pas autre chose qu’une âme;
Mais une âme peut prendre en sa serre
une femme,
Et l’emporter, et. faire un bruit mystérieux
Delionne-sur terre ou d’aigle dans les cieux.

Tu grondes. -Un baiser! -Jamais! -Je le dérobe.
Tu dis c’est mal! -Et j’ôte une épingle à ta robe;
L’amour aime les yeux fâchés de la pudeur,
Et rien n’est plus charmant qu’un paradis boudeur.
C’est vrai, belle, depuis que, les blanches épaules
Dé Galatée ont pris la fuite sous les saules,
Et que Marot a vu, sans être trop puni,
Un doux sourire faire éclore un doux nenni,
Une gloire ineffable est à l’amour mêlée.
La femme est. de son trop de puissance accablée;
Vaincue, elle se sait maîtresse; elle nous plaît;
Comme c’est ravissant d’avoir ce qu’on voulait,
Et de sentir beaucoup de reproches se taire!
Comme une rougeur vague après l’heureux mystère
Enivre, et comme on sent le prix d’une faveur
Que veut presque, reprendre un silence rêveur!
Reprendré? Non; pourquoi? Donner encor?’Peut-être.

Cachons-nous. Une branche a remué. C’est traître.
On devinait qu’Eschyle avait, un rendez-vous
Avec Mégaryllis, la farouche aux yeux doux,
Et qu’elle se laissait dire de tendres choses,
Quand les feuilles tremblaient au bois des lauriers-roses.

12 juillet 1874

*

1840 MAI

Je ne laisserai pas se faner les pervenches
Sans aller écouter ce qu’on dit sous les branches,

Et sans guetter, parmi les rameaux infinis,
La conversation des feuilles et des nids;
Il n’est qu’un dieu, l’amour; avril est son prophète;
Je me supposerai convive de la
fête
Que le pinson chanteur donne au pluvier doré;
Je fuirai de la ville et je m’envolerai,
Car l’âme du poëte est une vagabondé,
Dans les ravins où mai plein de roses abonde;
Là les papillons blancs et les papillons bleus,
Ainsi que le divin se mêle au fabuleux,
Vont et viennent, croisant leurs essors, joyeux, lestes,
Si bien qu’on les prendrait pour des lueurs célestes;
Là jasent les oiseaux, se cherchant, s’évitant;
Là Margot vient quand c’est Glycère qu’on attend;
L’idéal démasqué montre ses pieds d’argile;
On trouve Rabelais ,où l’on cherchait Virgile.
O jeunesse! ô seins nus des femmes dans les bois!
Oh! quelle vaste idylle et que de sombres voix!
Comme tout le hallier, plein d’invisibles mondes,
Rit dans le clair-obscur des églogues profondes!
J’aime la vision de ces réalités;
La vie aux yeux sereins luit de tous les côtés;
La chanson des forêts est d’-une douceur telle
Que, si Phébus l’entend, quand, rêveur, il dételle
Ses chevaux las. souvent au point de haleter,
Il s’arrête, et fait signe aux Muses d’écouter.

6 mai

*

1847

Tu vols un homme ayant un projet sous les cieux,
Mes voeux n’ont plus de frein, je suis ambitieux,
J’ai résolu d’avoir un dimanche superbe,
Et mon plan, c’est d’aller nous étendre sur l’herbe.
Je couve ce dessein, je fais cet opéra.
Et nous serons autant de couples qu’on voudra.
Nous chercherons un lieu désert, une chapelle,
Un burg ne sachant plus le nom dont il s’appelle,
N’ayant plus pour baron que le merle siffleur,
Qui soit tout en ruine et qui soit tout en fleur,
D’affreux murs, noirs dans l’ombre, absolument farouches;
Là les bouches auront des bontés pour les bouches;
C’est mon programme. Il est un arbuste gourmand
Dont la feuille est d’un tour si frais et si charmant
Qu’on en faisait jadis une couronne aux verres;
Il orne les vieux murs d’alcôves peu sévères;
C’est par lui qu’un logis qui s’écroule est complet;
Belle, ce tapissier des masures me plaît.
Viens, nous serons heureux, et pour auxiliaires,

Ô belle, nous aurons les dieux, les chants, les lierres.
Le mois de mai fera son devoir; Dieu clément
Le veut; on entendra chuchoter vaguement
Des profondeurs d’oiseaux sous des épaisseurs d’arbres;
On se parlera bas; les seins seront des marbres,
Non les coeurs; on aura quelque ami pour témoin,
Sans empêcher pourtant qu’il aille un peu plus loin.

26 mai.