Quand je veux savoir vos douleurs secrètes,
Vous dites, ô belle aux yeux adorés :
– « Je ne puis sortir des lieux où vous êtes ;
Vous êtes mon maître ! » – Et puis vous pleurez.

Et vous reprenez : «Quoi! sans récompense
Mes jours près de vous s’usent à souffrir !
Je veux vous quitter, mais, lorsque j’y pense,
Je ne sais pourquoi je me sens mourir ! »

Le même esclavage, ô belle, est le nôtre ;
De vous jusqu’à moi la chaîne revient ;
Nous ne sommes pas libres l’un ni l’autre;
Je vous tiens; madame, et le sort me tient.

Vous êtes à bord, et je suis, la barque:
Oui, comprends-moi bien, mes discours sont vrais,
Cet homme qui t’aime, esclave et monarque,
Est un dur navire aux sombres agrès.

Il emporte au loin votre coeur, votre âme ;
Il est emporté par le gouffre amer!
Vous ne pouvez pas en sortir, madame,
Et lui ne peut pas sortir de la mer.

Il subit l’autan, le nord, l’hiver, l’onde ;
Souvent sur l’écueil on le croit perdu
L’eau s’en joue, et quand la tempête gronde,
Dans l’oragè noir il passe éperdu !

Il lutte ; les vents n’épargnent-personne.
En se rappelant maint naufrage ancien,
S’ur les vastes mers il flotte, il frissonne.
Il est votre maître et n’ést: pas le sien.

11 novembre 1847.