On est ce personnage étrange, fait d’acier,
D’azur et d’idéal, le rêveur justicier,
Le poëte chargé de foudres, le nuage
Poussé dans la lumière et l’ombre par ce sage
Qui semble fou, le vent, assainisseur du ciel ;
On a l’empire infame et pestilentiel.
Sous soi, très bas, très loin, dans une brume impure ;
On voit la conscience humaine qni suppure ;
Des Te Deum rampant à tâtons dans l’enfer,
Et sous ce poids ; sénats de fange, lois de fer,
L’honneur las qui frémit, morne cariatide ;
Mais Avril, qui refait tous les ans l’Atlantide,
Prend peu souci de l’homme ; et pendant que descend
Toute l’âme d’un peuple, il monte éblouissant,
Il emplit l’horizon d’églogues et de fêtes ;
On contemple, on oublie, et comme les prophètes,
Comme les mages, pleins d’orage et de douleurs,
Sombre, on se laisse aller à regarder les fleurs ;
On a des yeux, on a malgré César, une âme ;
On se laisse dorer par cette immense flamme,
La vie ; et le printemps vous entre malgré vous
Dans le cœur, et vous fait presque paisible et doux,
Avec des grondements pourtant par intervalles ;
On écoute chanter des fauvettes, rivales
Du divin rossignol, qui, lorsque l’aube luit,
Prolongent dans le jour sa chanson de la nuit ;
Juvénal transparent laisse entrevoir Virgile ;
Devant la Némésis la Galatée agile
Surgit, folle, et d’un geste’ aimable et souverain,
Jette en riant sa pomme au noir. masque d’airain ;
Et le masque effrayant sourit. Que faire, ô lyre ?
Tout est parfum, tout est rayon, tout est délire ;
L’abîme est nuptial et les flots sont lascifs ;
L’écume est de l’amour qui baise les récifs ;
Paissez, moutons ; laissez aux buissons de la laine
Pour que l’oiseau l’emploie à son nid ! vaste haleine,
Souffle ! Boeufs qui songez, tirez le soc fécond !
Le premier dieu, c’est Dieu, mais l’homme est le second.
Il crée après le Père, il règne après le Maître ;
Faire mourir n’est pas son droit, mais faire naître
Est son devoir ; la vie est à lui, non la mort.
L’arbuste tend sa feuille au chevreau qui la mord,
La rose au papillon se livre toute nue,
La violette, aussi rêve, et cette ingénue
S’offre, et partout l’idylle ouvre de vagues yeux ;
O femmes, baignez-vous dans l’océan joyeux
Qui rit de ce grand rire où se mêlent des larmes ;
Faites comme les fleurs, belles, mettez vos charmes
Un peu dehors ; amant externa camenae
O rapide Atalante, ô fuyante Daphné,
Arrêtez-vous à temps, ne courez pas si vite ;
Vous savez bien qu’on cherche un peu ce qu’on évite ;
L’enfant que, vierge, on craint, mère, on l’adorera ;
Ô Glycère, Aglaè, Lalagé, Nééra,.
Soyez les nudités adorables du rêve ;
Homère veut Vénus et Moïse veut Eve ;
Le reflet de la femme est sur tous les grands fronts ;
O vivants, nous aimons parce que nous souffrons ;
Donc l’amour est sacré. Sans peur, sans fin, sans nombre,
Aimez ! vous tous, là-bas, tout le ciel, toute l’ombre,
Aimez ; vivez, créez ! Mondes, atomes, nids,
Oiseaux, soleils, soyez les amants infinis,
Car l’immensité veut être continuée !
Et voilà comme on flotte, esprit, barde, nuée.
Et voilà comme on va, tout furieux qu’on- est,
Dans l’azur, dans ce beau floréal qui renaît,
Dans l’hymen, dans l’amour, mais sans que Dante abdique,
Sans que la grande haine indignée et pudique
Cesse d’être au plus noir de. votre âme debout ;
Car sans cesse à travers tout ce printemps, partout,
Toujours l’âpre devoir reparaît ; et on erre
Semant sur son chemin des chutes de tonnerre.
27 juin 1875.