Muse à la voix d’enfant ! quelle route épineuse
Déchira tes pieds d’ange égarés loin des cieux ?
Quels épis indigens, fugitive glaneuse,
Nourrirent tes destins frêles et gracieux ?
Fleur étrangère ! en vain l’eau roule entre ta rive
Et mon rivage ; un flot m’attire aux malheureux.
Je suis leur écho triste où leur plainte m’arrive :
Près de moi, loin de moi, j’ai des larmes pour eux !
Oh ! que d’êtres charmans étonnés de la terre,
Ne sachant où porter leur ame solitaire,
Malades de la vie, altérés d’en guérir,
Au milieu de leurs jours s’arrêtent pour mourir !
Tu pleurais de l’entrave attachée à tes ailes,
Toi ! replongeant ton vol dans le ciel étoilé,
Sur ton astre tremblant aux pâles étincelles,
Tu consolais tes yeux d’un sommeil envolé.
Eh bien ! ton front brûlant est voilé sous l’argile ;
Ton ame est échappée à sa prison fragile ;
Un tissu délicat se brise sans effort ;
Ainsi l’œuf au soleil éclate après l’orage :
L’ange qu’il enfermait a ressaisi l’essor,
Et ton dernier soupir fut un cri de courage !
Ne demandais-tu pas ce repos virginal ?
Sur ta tombe innocente un oiseau matinal
Ne va-t-il pas verser quelque suave plainte,
Douce comme ta voix, ta douce voix éteinte ?
La rosée, en tombant de ton jeune cyprès,
Ne baigne-t-elle pas ton sommeil calme et frais ?
Dis ! ne souris-tu pas quand ta rêveuse étoile,
Le soir, dans ses rayons humides et flottans
Glisse un chaste baiser sous la pudique toile,
Où le ciel, qui t’aimait ! plongea tes beaux printemps ?
Non ! tu ne voudrais plus cueillir nos fleurs avares
Dont les âcres parfums tourmentaient ta raison :
De nos rangs consternés, libre, tu te sépares,
Et tu ne bois plus l’air où roule le poison.
Le monde t’a fait peur : de ses bruits alarmée,
Tu te penchas, soumise et vierge, sous la mort ;
Et tu t’envolas, fleur fermée,
T’épanouir aux feux qui n’ont pas de remord.
Tu ne vins pas, d’un jour prolongeant ton voyage,
Tenter de nos climats l’air tiède et transparent ;
Sous le voile d’encens où brûle leur bel âge,
Regarder tes sœurs en mourant !
De celle dont le cœur s’enferme et bat si vite[1],
Toi ! tu pouvais prétendre à rencontrer la main :
L’ange blessé l’attire au bord de son chemin,
Et sa grâce peut-être eût enchaîné ta fuite.
À ta pure souffrance elle eût jeté ses fleurs ;
De sa lyre voilée elle eût touché ta lyre ;
Et dans ses vers brillans, que de loin j’ose lire,
Ton nom jeune eût vécu, baptisé de ses pleurs !
Tu n’as pas vu Delphine à son adolescence,
Muse qui prit son vol si près de ta naissance,
Que l’on eût dit vos jours nés de la même fleur ;
Sur son front imprégné de gloire et d’innocence,
Tu n’as pu, jeune sainte, apaiser ta douleur.
Non ! l’étoile fuyait. Ton oreille enfantine,
Doucement rappelée au mouvement des flots,
N’aura pas entendu rouler la brigantine
D’une exilée aussi qui chante ses sanglots[2].
Et tu laissas tomber tes larmes poétiques,
Comme un cygne qui meurt, ses sons mélodieux ;
Cris d’ame ! ils font vibrer les feuilles prophétiques
Où s’épanchaient tout bas tes précoces adieux :
Car tu tremblais de vivre, et tu cherchais ta tombe,
Seule, sous un rameau qui n’a pas vu l’hiver ;
D’une vie effleurée, inquiète colombe,
Tu laissas le livre entr’ouvert.
Que de chants étouffés ! que de pages perdues !
Que d’hymnes au silence avec toi descendues !
Tu sortais d’être enfant, Lucretia… Tu meurs,
Et tu le voulus bien ! Pardonne à nos clameurs.
Non ! je n’ose pleurer dans ma pensée amère ;
Non, je ne te plains pas ; mais que je plains ta mère !