La Chambre criminelle de la Cour de cassation…
Déclare la révision du procès Lesurques non recevable.
(Arrêt du 17 décembre 1868.)

I

Et c’est ainsi qu’un tas d’hommes à jupe rouge,
Plus vils dans leur sénat qu’un forçat dans son bouge,
Prêtres hideux du temple indigné de la loi,
Plats sous la république et rampants Sous le roi,
Culs-de-jatte du droit dont la griffe est impure,
Et dont la conscience incurable suppure,
C’est ainsi que d’abjects et cyniques robins,
Jésuites que d’un signe on ferait jacobins,
Tout prêts à se tailler des bonnets dans leurs toges,
Profils féroces, comme on en voit dans les loges
Du jardin bestial d’Anvers, et dans l’horreur
Des bois où le loup rôde et tient lieu d’empereur,
C’est ainsi que Monsieur Troplong, monsieur Delangle,
Cuistres, de Guillotin adorant le triangle,
Lourds magots variant leurs poses de sommeils,
Poussahs de la justice et de l’ennui, pareils
Aux mandarins dormant sur les coussins des jonques ;
Dupins, Crispins, Scapins, Chaix d’Est-Anges quelconques,
C’est ainsi que ces gens qui disent : nous jugeons !
Durs comme le granit, souples comme les joncs,
Valetaille à genoux sous le plat de l’épée,
Ont fait rouvrir les yeux à la tête coupée !

Elle était dans le fond de la tombe, elle avait
Les pierres de la fosse infâme pour chevet ;
Autour d’elle gisaient, muets sous l’herbe haute,
Tous les sinistres morts qui dorment côte à côte
Dans ce fatal Clamart dont les cercueils sont courts  » ;
Sans haleine, sans voix, morte, attendant toujours,
Elle était là, pensive à cause des ténèbres ;
Ses yeux fermés, le sang collant leurs cils funèbres,
Semblaient faire un refus farouche au firmament,
Et vouloir regarder l’ombre éternellement.
L’âme espère au tombeau n’être point poursuivie.
Mais un bruit est venu du côté de la vie,
Et la tête coupée a remué, son œil.
Plein d’un feu sombre, a fait le jour dans le cercueil,
Et morne, a regardé les hommes, chose affreuse !

Et la nature, mère énorme et douloureuse,
Hélas ! s’est efforcée alors de l’apaiser ;
Les moineaux ont couru près d’elle se poser,
Et la mouche, apportant la pitié de l’atome ;
La rosée a lavé sa pâleur ; divin baume,
La fleur l’a-parfumée, et.l’herbe.qui verdit
L’a doucement baisée,. et les corbeaux ont dit
— N’écoute pas le noir croassement des juges !

Et dans ce moment-là ; cyprès, tombeaux, refuges,
Ossements, ossements, vous l’avez entendu.
Et toi, ciel étoilé, gouffre où rien n’est perdu,
Cette tête, du, fond de la fosse maudite,
A crié ; dans l’horreur sacrée où Dieu médite.
— Ils ont trouvé moyen de. reboire mon sang,
Dieu juste, et de tuer deux fois un innocent !

14 décembre.

II

«… Si l’on eût réhabilité Lesurques, il eût fallu restituer à sa famille ses biens confisqués, capital et intérêts, depuis plus de soixante ans, ce qui, dit-on, dépasserait deux millions. Cette importante considération a dû gravement influer sur l’arrêt de la cour. »
(Tous les journaux. Décembre 1868.)

Deux millions, voilà l’obstacle.
Si c’était
Pour qu’en son salon rose où chante Colletet,
L’impératrice puisse inviter à Compiègne
Grandguillot, Grandperret, tous les grands de ce règne ;
Si c’était pour gaver de truffes les Bourbeaux,
Pour offrir à Pinard des fêtes aux flambeaux,
Pour faire aux Nélatons quitter leurs clientèles ;
Ou pour couvrir de fleurs, de bijoux, de dentelles
Les femmes de la cour aux charmes ingénus,
Essaim de nymphes, tas de belles aux bras nus,
Riant, montrant l’aisselle et laissant voir la pointe
Du sein par l’hiatus d’une gaze peu jointe ;
Si c’était pour offrir des chiens au grand veneur ;
Si c’était pour dorer, l’or rehaussant l’honneur,
Palikao, Failly, Leboeuf, Martinprey, Korte,
Tous les épouvantails moustachus de l’escorte ;
Si c’était pour aider Rome à faire la nuit ;
Si c’était pour aller au Mexique, à grand bruit,
Tambour battant, avec une nuée altière
D’étendards déployés, fonder un cimetière ;
Si c’était pour forger des. chassepots meilleurs,
Si c’était pour créer des engins mitrailleurs
Appropriés au temps de progrès où nous sommes,
Afin d’abattre vite et bien des milliers d’hommes
Comme une faulx passant dans un champ de maïs,
Afin de faire, au meurtre immense du pays,
Travailler nos soldats changés en janissaires,
Afin d’assassiner les hurlantes misères,
Afin que le drapeau de France dans ses plis
Montre Ricamarie à côté d’Austerlitz,
Afin d’exterminer des pauvres, des famines,
Des détresses, vieillards, enfants, forçats des mines,
Pâles, mourant de faim, réclamant des liards ;
Deux millions, c’est peu ; prenez deux milliards ;
Mais il s’agit de rendre à l’innocent justice,
Il s’agit de frapper un coup qui retentisse,
Et de purifier un nom infortuné ;
Il s’agit de tirer de l’enfer un damné ;
De dire : Apaise-toi, spectre qui te lamentes !
Et d’aller, dans l’oubli des tombes infamantes,
Chercher une Mémoire, et de mettre ; à côté
D’un mensonge, en ces nuits sans fond, la vérité :
On ne peut gaspiller à ce point les finances !

Confisquer fut le droit. Les vieilles ordonnances
Sévirent sur Lesurque ainsi qu’au temps ancien.
En.lui volant sa vie ; on lui vola son bien.
Les fils ont disparu, famille foudroyée ;
La fille s’est jetée à la Seine et noyéé
Tout ce groupe effaré, morne, épàrs, frissonnant,
A sombré sous l’arrêt funèbre ; et maintenant,
La nuit après la mort, hélas ! c’est la logiqué ;
On ne distingue rien dans cette ombre tragique,
Sinon des enfants nus, quelques pauvres petits
Dans l’abîme ; orphelins pas ençore engloutis..
Cette détresse est là sous nos yeux, cela souffre,
Crie, appelle, et l’on voit leurs bras sortir du gouffre,
Ils pleurent, et la terre et le ciel sont témoins.
À présent, calculons. Deux. millions au moins.
Trois peut-être. Tout rendre aux fils est nécessaire.
Il faudra rembourser cette longue misère.
N’a-t-on pas plus tôt fait de dire : Toi qui fus
Innocent, reste infâme ! Et c’est fini. Refus :
Tout est dit. Être juste est bien, être économe.
Est mieux.

Et puis, de quoi te plains-tu, mon brave homme ?
De ce qu’on t’a coupé la tête par erreur ?
Ce n’est pas notre faute à nous ; et l’empereur
Doit-il, parce qu’on dit beaucoup d’impertinences
Sur cet accident-là, pâtir-dans ses finances,
Renonçer à Biarritz, vu que Lesurque est cher,
Et n’avoir plus de quoi payer monsieur Rouher ?
Qu’en pensez-vous, Glandaz ? Qu’en pensez-vous,.Devienne ?
Président Legagneur, autant qu’il men souvienne,
Tu jugeas l’accusé Bonaparte jadis,
Et tu sers l’empereur ; rends ton oracle ! dis !
Allons-nous ruiner le budget, qui nous dote,
Pour recrépir à neuf une antique anecdote,
Pour raccommoder, quoi ? le nom d’un homme mort,
Et pour laver au fond du code un vieux remord ?
Bah ! nous rencontrerions, si nous l’osions prescrire,
Le doux nenni de Magne avec son doux sourire.
Le jour où, devant l’huis du trésor, surgirait,
Enclose dans les flancs’ sacrés de notre arrêt,
La justice, devoir, dette, loi des croyances,
Clarté, sommation céleste aux consciences ;
Le caissier, ricanant de Lesurques plaintif,
Allumerait son poêle avec ce plumitif.
Sous l’empire on est fort ; on gouverne, on décrète ;
De la chose jugée on fait sa,cigarette.
D’ailleurs on est sceptique. A bas les morts gênants !
On tourne volontiers le dos aux revenants,
Surtout quand le fantôme apporte une quittance.
Le vrai vieilli n’est plus vraisemblable à distance ;
Et nous ferions hausser les épaules de ceux
Qui gagnèrent le lot d’un coup d’état chanceux
Si nous venions leur dire : O succès ! ô puissance !
Il existe une chose appelée innocence.

Et puis, voyons, vraiment, où s’arrêterait-on ?
Que fut à son début l’empire ? Un gueuleton.
S’ait : Mais si l’on persiste à faire ainsi ripaille,
L’empereur finira par être sur la paille.
Le budget fêlé fuit. Nous avons des héros,
Nous avons des sauveurs, et cela coûte gros.
On paya Bacciochi, Dieu sait pour quels services,
Magnan pour ses forfaits et Morny pour ses vices,
Va-t-on indemniser tout le monde à présent ?
Hier le criminel, aujourd’hui l’innocent.’
C’est trop. Bornons les frais. La loi, qui règne et fauche,
Frappa Lesurques. Bien. Complétons cette ébauche.
On a guillotiné le grand-père à tâtons ;
Exécutons les fils orphelins, et mettons
Leur requête au panier, comme on y mit sa tête.

Faisons à ce sépulcre une faillite honnête ;
Motivons-la si bien qu’on dise : Ils ont raison.
Remettons ce Lesurque en terre, de façon
Qu’il ne puisse, à travers la broussaille, l’ortie,
L’injustice et l’oubli, faire une autre sortie.
Les morts n’ont pas le droit d’ennuyer les vivants.
Régnons, cadis altiers, du haut de nos divans,
Dans notre pourpre ayant un linceul pour doublure.
Ne cédons point ; laissons sur ce nom la souillure ;
Car la démagogie en ce siècle grandit.
Finissons-en avec ce Lesurques. C’est dit.
Ne souffrons pas qu’on touche aux lois, vieille bâtisse.
Quand un homme a péri par arrêt de justice,
Correctement, au jour voulu, sur l’échafaud,
N’admettons point qu’on trouve à la hache un défaut.
Sans nous tout croulerait sous d’effrayants déluges.
Résistons ; et soyons dignes d’être des juges,
Après ces vénérés antiques magistrats,
Gravement accoudés sur d’augustes fatras,
Bien payés par les rois, bien bénis par les prêtres,
Et tous morts en odeur de Montfaucon, nos maîtres !

Vous allez me trouver peut-être curieux,
Mais je voudrais savoir, si tous ces Partariieux,
Tous ces Bellarts qu’on vante et dont on nous agace,
Suin copiant Severt, Aulois singeant Bergassè,
L’un sanguinaire et vil, l’autre horrible et moqueur,
Ont quelque’ chose en eux qu’on’ puisse appeler cœur !

Décembre.

III

Et puis, songez-y donc, si l’on allait conclure
De tout cela, qu’il est parfois unefêlure
A la chose jugée, et qu’un tribunal peut
Se tromper, faire faire à la cordé un faux nœud,
Un faux coup à la hache, un faux acte au concierge
De Thémis, un faux pas à la loi ; cette vierge
Qui n’a jusqu’à ce jour’guère eu d’autres époux
Que cinq ou six Bellarts et sept ou huit Maupeoux !

Reste, ô sombre innocent, dans ton opprobre inique.
Garde ce crime ainsi que l’ardente tunique,
Que devient la peau même et qu’on n’arrache pas.
Les juges monstrueux prennent leur faux compas
Et font autour. de toi ce cercle. épouvantable.
Au banquet de César la- Justice s’attable. ;
Elle n’a pas le temps d’être juste. Il te faut,
Comme Jésus sa croix, porter ton échafaud..
Reste sous ton fardeau, patient ! Sur ta tombe,
Un remords qui médite, une larme qui tombe,
Tu n’as pas même, hélas ! ce lugubre bonheur.
Sois pour. toujours muré dans le noir déshonneur.
On t’ enferme éperdu dans le forfait d’un autre.

Va, ton crime n’est pas ton crime, il est le nôtre !
Car, lorsqu’il râle et meurt, le fer des lois au. sein,
L’innocent a le monde entier pour assassin.
Quiconque a respiré pendant le meurtre, adhère,
Et quiconque boit, mange et dort, est solidaire ;
Le ciel blâme et maudit le genre humain, passant
Sans voir que sur la foule immense il pleut du sang.
Le peuple qui, stupide, aux juges se confie,
Regardant le bourreau pendant qu’il crucifie,
Laissant enfoncer l’un après l’autre-les clous,
Est lâche, et les moutons sont complices des loups.
Le juge, à ce Lesurque où sa- rage s’attache,
Donne un coup de poignard après un coup de hache ;
De féroce il devient infâme ; et nous l’aidons
Par notre indifférence et par nos abandons.
Il viole un cercueil. Sous ce fatal empire,
Le prêtre est assassin et le juge est vampire !
Et nous voyons, béants, ces hommes manier
L’innocence et la loi, la tête et le panier !

Ah ! la goutte de sang, plus que la goutte d’huile,
S’élargit, et la Grève éclabousse la ville 69
L’échafaud, vu de tous, est un hideux sommet.
L’attentat qu’en plein jour, nous présents, l’on commet,
Est l’égout collecteur de nos lâchetés sombres.
Du droit humain brisé nous sommes les décombres ;
Nul n’est de la souillure universelle exempt ;
Le grand forfait public est én nous frémissant ;
Jamais l’innocent mort, qui nous trouble et nous pèse,
Dans notre conscience obscure ne s’apaise.
Deuil profond !

Protestons du moins. Si je flétris
Ces juges, par mon vers dans leur honte pétris,
Si j’ai cette huée implacable à la bouche,
Si j’ai redit vingt fois cette plainte farouche,
Peuple, c’est que ma part de crime m’étouffait.
Peuple, avoir laissé faire, hélas, c’est avoir fait !

Garde toute l’horreur de ta lugubre histoire,
Lesurques ! dresse-toi, grande figure noire !
Qu’on te voie à jamais debout sur l’horizon.
Et vous, famille à qui l’on vola sa maison,
Martyrs dont la stupeur s’est changée en folie,
Veuves qu’on déshonore, orphelins qu’on spolie,
Désormais plus de plainte, et taisez-vous, proscrits.
Ah ! je frémis de voir leurs prières, leurs cris,
Leurs larmes, leurs appels craintifs, leurs plaidoiries,
Leurs tremblantes douleurs par le dédain meurtries,
Leurs fronts baissés, leurs bras suppliants, quand c’est nous,
Nous tous, qui devrions nous traîner à genoux,
Joindre les mains, pleurer notre erreur insondable,
Peuple, et demander grâce au spectre formidable !

2 décembre.

IV

Pourquoi ne pas marcher un peu ? Je vais rêvant,
Tâchant de disperser mon mal de tête au vent.
C’est décembre. L’eau gronde, immense, et le rivage
La repousse et la brise en son refus sauvage ;
L’écume se déchire en larges haillons blancs ;
Tous les arbres du-bord de la mer sont tremblants ;
La nature subit l’hiver, ce noir malaise.
L’herbe est mouillée et morte ; au pied de la falaise
Un tumulte d’oiseaux, mauves, courlis, plongeons,
Fourmille et se querelle au milieu des ajoncs ;
Le nuage et le flot font de grands plis farouches’ ;
Et l’on entend, dans l’air plein d’invisibles bouches,
Le Sourd chuchotement du ciel mystérieux ;
L’écueil se tait, témoin tragique et sérieux,
Qui le jour est montagne et la nuit est fantôme,
Et qui, tandis qu’au loin fuit la barque, humble atome,
Regarde vaguement dé ses yeux de granit
Les constellatibns qui rôdent au zénith ;
L’infini balbutie un fragment du cantique
Que dit le Pacifique et qu’entend l’Atlantique ;
Là-bas des voiles vont, Dieu sait où ! dans les vents,
Les vagues, les roulis et lés fracas mouvants,
Et s’enfoncent, par l’ombre au loin diminuées,
Sous la mélancolie énorme des nuées ;
L’océan m’environne avec ses chants, ses cris,
Sa brume, et moi je songe à ce gouffre Paris.

Qu’est-ce que je fais là, près des mers ? Je suis triste.

Et vous vous figurez que votre arrêt existe !
Ah ! nous déchirerons, nous tordrons, nous mettrons
En pièces la sentence atroce sur vos fronts !
Nous vous souffletterons avec votre justice,
Juges ! Il ne se peut qu’un peuple s’abrutisse
Au point de’ croire en’ vous et de vous respecter !
Il faudra bien un jour te laisser confronter,
Code, avec le bon sens, et le bon sens est rude.
Juges ! votre sagesse-est une vieille prude
Qui, pour cacher ses mains nialpropres, met des gants,
Et votre conscience, ô bonzes arrogants,
A laissé bien des fois César trousser sa jupe :
Sous vos crânes hautains dont le bourgeois est dupe,
Vos scrupules,- vos lois, vos textes, vos fiertés,
Vos pudeurs, vos vertus et vos austérités, ’ ‘
N’ont qu’un souci, sé vendre, et sont des Rigolboches
Dansant leur danse impure au fond -de vôs-caboches.
Négocier sa voix, brocanter son serment,
Livrer au plus offrant son âme habilement
Et sans qu’il y paraisse, est votre art, et j’atteste
Troplong qui réussit le tour manqué par Teste. —
Troplong a le collier et Teste a le carcan
Au fond c’est le même homme et c’est le même encan.
Vous êtes bien les vrais successeurs des vieux cuistres
Qui peuplaient la Grand’Chambre au temps des rois sinistres,
Et qui dans leurs décrets mêlaient le vrai, le faux,
Le bien, le mal, l’horreur, la mort, les échafauds,
Lourds, et dissimulant cette pointe assassine
Par l’assaisonnement d’un latin de cuisine !

Votre sentence ira pourrir dans le vieux tas
De leurs indignités et de leurs attentats.
Vous imaginez-vous, ô sombres imbéciles,
Qu’après l’arrêt bavé par vos bouches fossiles,
Tout est dit ; que c’est fait ; que vous avez ôté
Du monde l’équilibre et des cœurs l’équité,
Que vous êtes, magots toussant dans vos flanelles,
Quelque chose à côté des clartés éternelles,
Et qu’il sort du bouquin légal un tel pouvoir
Que l’homme empêche Dieu de faire son devoir !

Ah ! l’on pourra puiser au fond des écritoires
Les galimatias et les réquisitoires
Et la prose infamante où Broë triomphait,
Et cracher sur ce spectre, et dire : c’est bien fait !
Ah ! l’on entassera tant qu’on voudra la honte ;
Le juge, le bailli, le capitoul, l’archonte,
Toutes les robes d’ombre et tous les bonnets noirs,
Tous les hiboux ayant les greffes pour manoirs,
Pourront venir, pourront prodiguer leur grimoire
Et leur haine à cette humble et tragique mémoire,
Ces stercoraires sont un assez vil essaim.
Pour croasser sans cesse : assassin ! assassin !
Ils pourront, tous, en foule, à l’heure où la nuit tombe,
Se percher, au-dessus de cette pauvre tombe,
Dans les hideux rameaux du code, obscur cyprès
D’où tombe cette fiente immonde, leurs arrêts ;
Ils pourront épaissir leur justice fétide
Sur -ce damné, des lois morne cariatide ;
Ils pourront ajouter le désespoir.au deuil,
Sous leur chose jugée accabler ce cercueil,
Faire une ignominie exprès pour cette fosse,
Déclarer le lys noir et la vérité fausse ;
Paris, ce vieux Paris si petit et si grand,’
Pourra dormir, chanter, manger, boire, ignorant
A qui le droit, à qui l’opprobre, à qui la palme ;
Soudain, un jour, le ciel oublié, le ciel calme,
Blanchira du côté maudit de l’horizon ;
Ceux qui regarderont auront un grand frisson
Et l’attente sacrée entrera dans leur âme ;
Et l’on verra, là-bas, dans l’atmosphère infâme,
Tout à coup, au-dessus du sépulcre effrayant
Que la loi,- l’Euménide inepte, en bégayant,
Monstre aveugle, a flétri dans sa toute-puissance,
Se lever lentement cet astre, l’innocence !

H.-H. 27 décembre.