Mes yeux, pourrai-je bien vous croire?
Suis-je éveillé? Vois-je un jardin?
N’est-ce point quelque songe vain
Qui me place en ce lieu de gloire?
TA vois comme de nouveaux cienr
Où mille astres délicieux
Répandent leur lumière,
Et semble qu’en ce beau séjour
La terre est héritière
De tous ceux qu’a chassés le jour.
Déjà sur cette riche entrée
Je vois les pavis rougissants
Étaler les rayons luisants
De leur belle neige empourprée.
Dieu! quels prodiges inouïs!
Je vois naître dessus les lis
L’incarnat de la rose,
Je vois la flamme et sa rougeur
Dessus la neige éclose
Embellir même la blancheur.
Je vois cette pomme éclatante,
Ou plutôt ce petit soleil,
Ce doux abricot sans pareil,
Dont la couleur est si charmante.
Fabuleuses antiquités,
Ne nous vantez plus les beautés
De vos pommes dorées:
J’en vois qui, d’un or gracieux
Egalement parées,
Ravissent le goût et les yeux.
Je vois, sous la sombre verdure,
Ces deus fruits brillants et pompeux
Parer les murs, comme orgueilleux
D’une inimitable bordure;
C’est là qu’heureusement pressés,
Et l’un près de l’autre entasses
Sur cent égales chaînes,
Ils semblent faire avec éclat,
De leurs branches hautaines
Cent sillons d’or et d’incarnat.
Je viens à vous, arbres fertiles,
Poiriers de pompe et de plaisirs,
Pour qui nos vœux et nos désirs
Jamais ne se sont vus stériles :
Soit vous qui, sans chercher d’appui,
Voyez sous vos superbes fruits
Se courber vos branchages;
Soit vous qui des riches habits
De vos tremblants feuillages
Faites de si vastes tapis.
Mais quelle assez vive peinture
Suffit pour tracer dignement
Tout le pompeux ameublement
Dont vous a parés la nature?
Vous ne présentez à nos yeux
Que les fruits les plus précieux
Qu’ait cultivés Pomone;
Ils ont eu le lis pour berceau,
L’émeraude est leur trône,
L’or et la pourpre leur manteau.
Je les vois, par un doux échange,
Ici mûris, et là naissants,
De leurs fruits blonds et verdissants
Faire un agréable mélange;
J’en vois même dedans leur fleur
Garder encore la splendeur
De leur blanche couronne,
Et joindre l’espoir du printemps
Aux beaux fruits dont l’automne
Rend nos voeux à jamais contents.
Je sais quelle auguste matière
Pouvait sur mes sombres crayons
Jeter encore les rayons
De son éclatante lumière;
Mais déjà l’unique flambeau,
Allant se plonger dedans l’eau,
A fait place aux ténèbres,
Et les étoiles, à leur tour,
Comme torches funèbres,
Font les funérailles du jour.
J’entends l’innocente musique
Des flûtes et des chalumeaux
Saluer l’ombre en ces hameaux
D’une sérénade rustique.
L’ombre qui, par ses doux pavots,
Venant enfin faire aux travaux
Une paisible guerre,
Fait que ces astres précieux,
Palissant sur la terre,
Semblent retourner dans les cieux.