I
Onde, ciel frais glissant avec de claires ailes
Dans les prés, et portant de chantantes nouvelles,
Sans vous le paysage a ses yeux las et clos !
Les cœurs, comme la soif, ont le désir de l’eau.
Toute chose qui plaît a sa source légère :
Le branchage et les fleurs sont de sucre humectés,
Les fruits laissent filtrer un parfum qui suggère
Le suave torrent dans leur chair arrêté.
La ceinture des flots rend les îles divines,
Et, dans la plus obscure et morose cité,
L’esprit est réjoui dès l’instant qu’il devine
Le chant de la fontaine, au jet précipité…
II
Île inventée, avec son végétal panache,
Sa moite floraison d’océan qui s’attache
Au sol, et largement l’humecte de bonheur !
Corail sur l’arbrisseau, coquillages en fleur
Qui semblent attentifs, ainsi que la gazelle,
Aux pudiques secrets que se disent entre elles
Les filles du jardin, graves comme des sœurs.
— Nous ne connaîtrons pas la flambante prairie
Où s’écoulent les jours étincelants, égaux.
L’image éveille en nous un nostalgique écho.
— Dans l’arome du vent qui s’élève des flots,
Que n’ai-je pu rêver sous une draperie,
Mollement suspendue aux palmiers indigos !
III
Écailleuse rondeur à quoi tout s’évertue :
Le flot, les fleurs, le roc,’arbre à noix de cocos ;
Le petit voilier dur est en dos de tortues,
L’eau se hausse et se traîne en course d’escargots.
— Ah ! pouvoir habiter vraiment ce paysage,
Pouvoir, quand tout nous nuit, poser sur le visage
Du nonchalant, maussade et constant univers,
Ce masque somptueux, bleu, violet et vert !
IV
Dans les joyaux touffus et animés du val,
Où le feuillage autant que le plumage ondule,
Est-ce l’aube intriguée ou le soir estival ?
Énigme du matin ou bien du crépuscule ?
On goûte le tranquille et sensuel bonheur
Que le silence épand au milieu des couleurs,
Dans l’arome qui sourd des moelleuses capsules.
— Et devant le secret du parfum pictural,
Je me souviens du cri de Gérard de Nerval,
Où l’on ne sait quel feu mystérieux circule :
« Rose au cœur violet, fleur de sainte Gudule ! »