C’estoit au poinct, que la nuict hyvernale
Approche plus de l’estoile journale,
Et l’éveilleur du rustique séjour
Jà par son chant avoit prédict le jour:
Lors que Marsault, qui pour tout héritage
Ne possédoit qu’un petit jardinage,
Craignant desjà la faim du jour suivant
De son grabat tout beau se va levant,
Et tastonnant avecques main soigneuse
L’obscurité de la nuict sommeilleuse,
Cherche le feu, lequel il a trouvé,
Après l’avoir à son dam esprouvé.
Là d’une souche à demy consumée
Sortoit encor quelque peu de fumée,
Et soubz la cendre estoit le feu caché:
Alors Marsault avecques front panché
Sur le foyer, vient approcher sa mèche,
Et attirant un peu d’estouppe seiche
D’un fer pointu, soufle tant et si fort,
Qu’il alluma le feu jà demy mort.
L’obscurité faict place à la chandelle:
Marsault chemine, et tousjours autour d’elle
Porte la main, pour la garder du vent,
Puis ouvre un huis, qui estoit au devant.
D’un moncelet de froument il va prendre
Autant que peult la mesure comprendre,
Qui environ seize livres contient.
Il part de là, à la meule s’en vient,
Et sur un aix servant à cest affaire
Met près du mur son petit luminaire.
Alors il va desplier ses bras nuds,
Ses deux gros bras bien nerveux et charnus,
Portant de chèvre une peau hérissée
Dessus le flanc rustiquement troussée:
Prend le ballay, et tout à l’environ
Va nettoyant la meule et le gyron:
Et puis il met les mains à l’exercice,
Et à chacune ordonne son office.
Avec la gauche il faict tumber le grain
Dessoubz la meule, et avec l’autre main
Donne le tour, d’un rond qui point ne cesse.
Le blé moulu tumbe en farine espesse.
Aucunefois d’un travail successeur
La gauche tourne et soulage sa soeur:
Luy mesme aussi quelquefois se soulage,
Chantant des vers et chansons de village
Alors Catou il huche haultement.
Pour tous servans il avoit seulement
Ceste Catou, qui à sa laide mine
Montroit assez qu’elle estoit Limousine.
Les cheveux roux, et le teinct tout haslé,
La lippe enflee, et le sein avalé,
Le ventre gros, gembe grosse et grands plantes,
Et aux talons tousjours mules et fentes.
Marsault luy dit qu’elle face du feu,
Que l’eau soit chaulde, et après qu’il a veu
Son blé moulu, il le prend, il le sasse.
Le son demeure, et la farine passe.
Puis sur un aix l’agence tout soudain,
Verse l’eau tiède, et en menant la main
Tout au travers, pestrit tout pesle mesle
Avecques l’eau la farine se mesle.
Des grains de sel il y respand aussi:
L’oeuvre se forme, et devient espoissi.
Avec la paulme en rond il le façonne,
Presse le moule, et sa marque luy donne,
Le porte au feu (Catou premièrement
Avoit le lieu nettoyé proprement);
D’un test voulté il a faict sa fournaize:
Et cependant que la tuyle et la braize
Font leur devoir, Marsault ne chomme pas,
Mais se pourvoit d’autres metz et repas,
Pour ne trouver, à la manger seulette,
Fade saveur au goust de sa galette.
De chair de porc par le sel endurci
Les gros quartiers, et les jambons aussi
N’estoient pas là penduz pour son usage,
Mais seulement le rond d’un vieux fourmage
Par le milieu traversé d’un genet,
Et tout au près un vieux fagot d’aneth.
Luy donc aiant le soing de sa pasture,
Pour son disner cherche autre nourriture.
Joingnant la loge, où Marsault habitoit,
Fut un jardin, un jardin qui estoit
D’un peu d’oziers clos devant et derrière,
Et de roseaux à la canne légère:
Petit de lieu, mais d’herbes bien fourny.
Ce jardin là n’estoit pas dégarny
De ce qui sert à un pauvre mesnage:
Souvent le riche y prenoit son usage.
Quant au labeur, cela ne luy coustoit
Que l’entretien: cest entretien c’estoit
Quand quelque feste ou saison pluvieuse
Avoient rendu sa charrue ocieuse.
Marsault sçavoit les plantes disposer,
Marsault sçavoit semer et arroser.
Là se trouvoit toute herbe de potage,
Là s’espandoit la bette au grand fueillage,
Et la vinette espessement croissant,
Avec la maulve, et l’eaule verdissant.
Les chichespois y prenoient nourriture,
Oignons, pavotz d’endormante nature:
Là s’estendoit la friande laictue,
Et là s’enfloit la coucourde ventrue.
Cela n’estoit de Marsault le manger.
(Car qui estoit plus que luy ménager?)
Son revenu au peuple estoit utile,
Il en portoit certains jours à la ville,
Et puis au soir retournoit à grand joye
Léger d’espaule, et chargé de monnoye.
Bien peu souvent de la chair achetoit,
Le rouge oignon son appétit domtoit,
Et le pourreau bien teillant: quelquefois
Il se paissoit de cresson allénois,
Qui prend au nez, d’endive, et de roquette
Bonne aux vieillards. Voylà comment se traitte
Le bon Marsault, qui songeant à son cas
En son jardin va chercher son repas.
Premièrement grattant un peu la terre,
Quatre aulx espaiz de racine il déterre,
Arrache aussi des coriandres gresles,
Et du persil aux petites umbelles:
De verde rue il s’est aussi pourveu,
Puis tout joyeux s’assied auprès du feu:
Huche Catou, demande le mortier,
Plume l’oignon, prend ce qui faict mestier,
Jette le reste, et puis en belle eau frotte
Bien nettement la terreuse échalotte,
Et tout cela vous jette dans le fond
De son mortier, qui fut cavé en rond.
Des grains de sel il y met d’avantage,
Il y adjouste encores du fourmage
Dur et salé, et puis ces herbes là
Dont j’ay parlé, jette sur tout cela:
Et puis dessoubz ses aynes hérissées
De la main gauche a ses robbes troussées;
De l’autre main il va pilant les aulx,
Dont la senteur offense les nazeaux:
Le suc de l’un avec l’autre s’assemble,
Le pilon tourne et brize tout ensemble.
Lors peu à peu cestuy perd sa valeur,
Et cestuy-là: tous n’ont qu’une couleur,
Qui, pour le blanc, n’est du tout verdissante,
Ny, pour le verd, toute aussi blanchissante.
Souvent Marsault, comme tout courroucé,
Souffle, renifle, et d’un nez retroussé
Maudict ses aulx: souvent torche ses yeux
Du bout des doigts, souvent tout furieux
Va maugréant la vapeur innocente.
Desjà se faict la matière plus lente
Qu’auparavant: le pilon qui tenoit
Dans le mortier, plus lentement tournoit.
Or il y mesle un peu d’olif, et ores
Un petit fil de vinaigre, et encores
Remesle tout, et puis une autre fois
Le mesle encor: puis avecques deux doigts
Finablement le mortier environne,
Et en tourteau la matiere façonne.
Voylà comment la saulse lon faisoit,
Qui Moretum en latin se disoit.
Catou soigneuse avecques la main nette
Encependant tire aussi sa galette.
Ainsi Marsault ne craignant plus la faim
Pour ce jour-là, se dépesche soudain,
Prend son chappeau, ses guestres, et se rue
Avec ses boeufz au faict de la charrue.

Voeuz rustiques du Latin de Naugerius.