SAÜL, LA PYTHONISSE D’ENDOR
SAÜL, seul.
Peut-être… puisqu’enfin je puis le consulter,
Le ciel peut-être est las de me persécuter !
À mes yeux dessillés la vérité va luire.
Mais au livre du sort, ô Dieu, que vont-ils lire ?
De ce livre fatal, qui s’explique trop tôt,
Chaque jour, chaque instant, hélas ! révèle un mot.
Pourquoi donc devancer le temps qui nous l’apporte ?
Pourquoi dans cet abîme, avant l’heure… ? N’importe !
C’est trop, c’est trop longtemps attendre dans la nuit
Les invisibles coups du bras qui me poursuit :
J’aime mieux, déroulant la trame infortunée,
Y lire, d’un seul trait, toute ma destinée.
La Pytonisse d’Endor entre sur la scène.
Est-ce toi qui, portant l’avenir dans ton sein,
Viens au roi d’Israël annoncer son destin ?
LA PYTHONISSE.
C’est moi.
SAÜL.
Qui donc es-tu ?
LA PYTHONISSE.
La voix du Dieu suprême.
SAÜL.
Tremble de me tromper !
LA PYTHONISSE.
Saül, tremble toi-même !
SAÜL.
Eh bien ! qu’apportes-tu ?
LA PYTHONISSE.
Ton arrêt.
SAÜL.
Parle.
LA PYTHONISSE.
Ô ciel !
Pourquoi m’as-tu choisie entre tout Israël ?
Mon cœur est faible, ô ciel ! et mon sexe est timide.
Choisis pour ton organe un sein plus intrépide.
Pour annoncer au roi tes divines fureurs,
Qui suis-je ?
SAÜL, étonné.
Ta main tremble ! et tu verses des pleurs !
Quoi ! ministre du ciel, tu n’es plus qu’une femme !
LA PYTHONISSE.
Détruis donc, ô mon Dieu, la pitié dans mon âme !
SAÜL.
Par tes feintes terreurs penses-tu m’ébranler ?
LA PYTHONISSE.
Mais ma bouche, ô mon roi, se refuse à parler.
SAÜL, avec colère.
Tes lenteurs, à la fin, lassent ma patience :
Parle, si tu le peux ; ou sors de ma présence !
LA PYTHONISSE.
Que ne puis-je sortir, emportant avec moi
Tout ce qu’ici je viens prophétiser sur toi !
Mais un Dieu me retient, me pousse, me ramène ;
Je ne puis résister à son bras qui m’entraîne.
Oui, je sens ta présence, ô Dieu persécuteur !
Et ta fureur divine a passé dans mon cœur.
Avec plus d’horreur.
Mais quel rayon sanglant vient frapper ma paupière !
Mon œil épouvanté cherche et fuit la lumière !
Silence !… l’avenir ouvre ses noirs secrets !
Quel chaos de malheurs, de vertus, de forfaits !
Dans la confusion je les vois tous ensemble !
Comment, comment saisir le fil qui les rassemble ?
Saül… Michol… David… Malheureux Jonathas !
Arrête ! arrête, ô roi ! ne m’interroge pas.
SAÜL, tremblant.
Que dis-tu de David, de Jonathas ? achève !
LA PYTHONISSE, montrant du doigt une ombre.
Oui, l’ombre se dissipe et le voile se lève,
C’est lui !
SAÜL.
Qui donc ?
LA PYTHONISSE.
David !…
SAÜL.
Eh bien ?
LA PYTHONISSE.
Il est vainqueur !
Quel triomphe, ô David ! que d’éclat t’environne !
Que vois-je sur ton front ?
SAÜL.
Achève !
LA PYTHONISSE.
Une couronne !
SAÜL.
Perfide ! Qu’as-tu dit ? Lui, David, couronné ?
LA PYTHONISSE, avec tristesse.
Hélas ! et tu péris, jeune homme infortuné !
Et pour pleurer ton sort, belle et tendre victime,
Les palmiers de Cadès ont incliné leur cime !…
Grâce ! grâce, ô mon Dieu ! détourne tes fureurs !
Saül a bien assez de ses propres malheurs…
Mais la mort l’a frappé, sans pitié pour ses charmes,
Hélas ! et David même en a versé des larmes !
SAÜL.
Silence ! c’est assez : j’en ai trop écouté.
LA PYTHONISSE.
Saül, pour tes forfaits ton fils est rejeté.
D’un prince condamné Dieu détourne sa face,
D’un souffle de sa bouche il dissipe sa race :
Le sceptre est arraché !…
SAÜL, l’interrompant avec violence.
Tais-toi, dis-je, tais-toi !
LA PYTHONISSE.
Saül, Saül, écoute un Dieu plus fort que moi !
Le sceptre est arraché de tes mains sans défense ;
Le sceptre dans Juda passe avec ta puissance,
Et ces biens par Dieu même à ta race promis,
Transportés à David, passent tous à ses fils.
Que David est brillant ! que son triomphe est juste !
Qu’il sort de rejetons de cette tige auguste !
Que vois-je ? un Dieu lui-même !… Ô vierges du saint lieu,
Chantez, chantez David ! David enfante un Dieu !…
SAÜL.
Ton audace, à la fin, a comblé la mesure :
Va, tout respire en toi la fourbe et l’imposture.
Dieu m’a promis le trône, et Dieu ne trompe pas.
LA PYTHONISSE.
Dieu promet ses fureurs à des princes ingrats.
SAÜL.
Crois-tu qu’impunément ta bouche ici m’outrage ?
LA PYTHONISSE.
Crois-tu faire d’un Dieu varier le langage ?
SAÜL.
Sais-tu quel sort t’attend ? sais-tu…
LA PYTHONISSE.
Ce que je sais,
C’est que ton propre bras va punir tes forfaits ;
Et qu’avant que des cieux le flambeau se retire,
Un Dieu justifiera tout ce qu’un Dieu m’inspire.
Adieu, malheureux père ! adieu, malheureux roi !
Elle se retire ; Saül la retient par force.
SAÜL.
Non, non, perfide, arrête ! écoute, et réponds-moi.
C’est souffrir trop longtemps l’insolence et l’injure :
Je veux convaincre ici ta bouche d’imposture.
Si le ciel à tes yeux a su les révéler,
Quels sont donc ces forfaits dont tu m’oses parler ?
LA PYTHONISSE.
L’ombre les a couverts, l’ombre les couvre encore,
Saül ; mais le ciel voit ce que la terre ignore.
Ne tente pas le ciel.
SAÜL.
Non : parle, si tu sais.
LA PYTHONISSE.
L’ombre de Samuel te dira ces forfaits…
SAÜL.
Samuel ! Samuel ! Hé quoi ! que veux-tu dire ?
LA PYTHONISSE.
Toi-même, en traits de sang, ne peux-tu pas le lire ?
SAÜL.
Eh bien, qu’a de commun ce Samuel et moi ?
LA PYTHONISSE.
Qui plongea dans son sein ce fer sanglant ?
SAÜL.
Qui ?
LA PYTHONISSE.
Toi !
SAÜL, furieux, se précipitant sur elle avec sa lance.
Monstre, qu’a trop longtemps épargné ma clémence,
Ton audace, à la fin, appelle ma vengeance !
Prêt à la frapper.
Tiens, va dire à ton Dieu, va dire à Samuel
Comment Saül punit ton imposture…
Au moment où il va frapper, il voit l’ombre de Samuel ; il laisse tomber la lance, il recule.
Ô ciel !
Ciel ! que vois-je ? C’est toi ! c’est ton ombre sanglante !
Quel regard !… Son aspect m’a glacé d’épouvante.
Pardonne, ombre fatale ! oh ! pardonne ! Oui, c’est moi.
C’est moi qui t’ai porté tous ces coups que je voi !
Quoi ! depuis si longtemps ! quoi ! ton sang coule encore !
Viens-tu pour le venger ?… Tiens…
Il découvre sa poitrine, et tombe à genoux.
Mais il s’évapore !…
La Pythonisse disparaît pendant ces derniers mots.