Vêts-toi de sang, Vénus, voici quatre-vingt-treize :
Une fuite de rois, sous un couchant de braise,
Et l’échafaud ancré,
Vaisseau rouge, en des marées
De poings houleux et de luttes exaspérées ?
Deviens la Théroigne âpre et tragique,
Dressée au clair des révoltes logiques,
Comme tu fus la sainte et l’amoureuse.
Plus haute encor, ton âme aventureuse,
Avec douceur, jadis, avec rage, aujourd’hui,
Se donne à tous ; tu es, selon le temps, ce cri
D’amour, de charité, ou de justice
Qui part pour l’infni,
À travers joie ou pleurs, à travers sang ou lie,
Le cri toujours jeté, toujours brandi,
Par la fièvre et la folie
Violentes du sacrifice.
La ville est en colère et en tempête,
Toute la haine illumine sa tête,
Des volontés d’éclair passent dans les cerveaux,
Des bras soudains dont les rages fécondent
Apparaissent, pesants de force et de marteaux.
On ne sait quel tonnerre autour des peuples gronde
Et leur donne sa voix et les arme de feux ;
Des fronts dressent leur mur contre l’orgueil des dieux,
Ils entendent, au delà de l’heure, l’appel
De ceux qui connaîtront un temps plus mutuel,
Quand les sceptres seront comme des tiges
D’où tomberont les fleurs de vice et de prestige.
Sois désormais la vie en lutte avec la mort ;
Vénus, verse ta fièvre et ta jeunesse aux foules ;
Sois ses fureurs et sois ses houles
Et sois publique et sois divine encor !
En tous ces bras armés, en ces frustes cervelles,
Le sang du vieux destin monte et se renouvelle.
L’heure est de meurtre et de sang lourde,
On tue au nom de l’avenir sacré, des voix sourdes,
Des voix âpres, des voix folles se fondent,
Autour du berceau rouge, où balbutie un monde.
Vénus, recueille en toi cette ivresse angoissée ;
Que du fond de ta chair et de ton cœur
L’amour afflue et règne enfin dans ta pensée,
Aime l’humanité qui est l’âme meilleure
En tourmente et en vertige vers le bonheur ;
Livre et prodigue-toi à tous ceux qui t’appellent,
Non plus parmi les dieux, ni à genoux,
Devant les Christs — mais debout, parmi nous,
Et simplement humaine et maternelle.