J’entrai jusques au fond d’une église, le soir
Du jour triste où le prêtre étend un voile noir
Sur les images d’or de ce bois salutaire
Où vint s’offrir au Ciel la rançon de la terre.
Un diacre en blanc surplis veillait son Dieu mort, seul,
Courbé devant l’autel que couvrait un linceul.
C’était le vendredi de la Semaine sainte,
Et les femmes glissaient dans la lugubre enceinte.
Sur les frissons de soie et les bruits argentins
Roulaient les voix de l’orgue et les versets latins.
Or je vis celle-là qui tient ma destinée.
Elle était à genoux, mollement inclinée;
Son front se renversait au poids des cheveux lourds,
Ses mains longues pendaient sur les plis du velours,
Et les lampes tremblaient dans la nef ténébreuse
Sur la belle pâleur de sa joue un peu creuse.
Je fus d’abord surpris de la voir en ce lieu,
Car elle était bien loin de vivre selon Dieu.
J’étais à son côté, frôlant sa jupe sombre.
Mais rien ne l’avertit de ce qu’était cette ombre,
Et ceci me frappa que dans ses grands yeux clairs
Je n’avais jamais vu de si brillants éclairs,
Je n’avais jamais vu de larmes si brûlantes,
Ni de regards si beaux, ni d’extases si lentes,
Tant un heureux lien de célestes effrois
L’attachait au Dieu pale étendu sur la croix,
Tant sa narine ouverte à la divine haleine
S’enivrait de l’encens dont l’église était pleine!
Que l’âme de la femme est prompte à s’embraser!
– Sa bouche était en fleur comme pour un baiser,
Son être palpitait d’une invisible étreinte.
C’est pourquoi je fus pris de tristesse et de crainte :
Je vis que désormais ce cœur m’était fermé
Et qu’il se repentait de m’avoir trop aimé;
Que ce sein inondé par la Grâce féconde
Se haussait du dégoût des choses de ce monde.
Alors, pleurant sur moi, je reconnus, pensif,
Que tu m’avais repris cette femme, o beau Juif,
Roi, dont l’épine a ceint la chevelure rousse !
Ton âme était profonde et ta voix était douce;
Les femmes t’écoutaient parler au bord des puits,
Les femmes parfumaient tes cheveux; et depuis
Elles ont allumé sur ton front l’auréole,
Dieu de la vierge sage et de la vierge folle!
C’est écrit : pour jamais toi seul achèveras
Les plus belles amours qu’on essaye en nos bras;
Toute femme qui pleure est déjà ton épouse;
Tous les cheveux mordus sous notre dent jalouse
S’en iront à leur tour essuyer tes pieds nus;
Dégageant de nos bras leurs flancs mal retenus,
Jusqu’à la fin des temps toutes nos Madeleines
Verseront à tes pieds leurs urnes encor pleines.
Christ ! elle a délaissé mon âme pour ton Ciel,
Et c’est pour te prier que ta bouche est de miel!
Adieu ! coupe sacrée où je ne dois plus boire,
Rose mystique éclose au crucifix d’ivoire!
Février 1866.