Cris, chansons ; et voilà ces vieilles tours vivantes.
La chambre d’Isora se remplit de servantes ;
Pour faire un digne accueil au roi d’Arle, on revêt
L’enfant de ses habits de fête ; à son chevet,
L’aïeul, dans un fauteuil d’orme incrusté d’érable,
S’assied, songeant aux jours passés, et, vénérable,
Il contemple Isora : front joyeux, cheveux d’or,
Comme les chérubins peints dans le corridor,
Regard d’enfant Jésus que porte la madone,
Joue ignorante où dort le seul baiser qui donne
Aux lèvres la fraîcheur, tous les autres étant
Des flammes, même, hélas ! quand le cœur est content.
Isore est sur le lit assise, jambes nues ;
Son œil bleu rêve avec des lueurs ingénues ;
L’aïeul rit, doux reflet de l’aube sur le soir !
Et le sein de l’enfant, demi-nu, laisse voir
Ce bouton rose, germe auguste des mamelles ;
Et ses beaux petits bras ont des mouvements d’ailes.
Le vétéran lui prend les mains, les réchauffant ;
Et, dans tout ce qu’il dit aux femmes, à l’enfant,
Sans ordre, en en laissant deviner davantage,
Espèce de murmure enfantin du grand âge,
Il semble qu’on entend parler toutes les voix
De la vie, heur, malheur, à présent, autrefois,
Deuil, espoir, souvenir, rire et pleurs, joie et peine ;
Ainsi tous les oiseaux chantent dans le grand chêne.
« Fais-toi belle ; un seigneur va venir ; il est bon ;
C’est l’empereur ; un roi ; ce n’est pas un barbon
Comme nous ; il est jeune ; il est roi d’Arle, en France ;
Vois-tu, tu lui feras ta belle révérence,
Et tu n’oublieras pas de dire : monseigneur.
Vois tous les beaux cadeaux qu’il nous fait ! Quel bonheur !
Tous nos bons paysans viendront, parce qu’on t’aime ;
Et tu leur jetteras des sequins d’or, toi-même,
De façon que cela tombe dans leur bonnet. »
Et le marquis, parlant aux femmes, leur prenait
Les vêtements des mains :
« Laissez, que je l’habille !
Oh ! quand sa mère était toute petite fille,
Et que j’étais déjà barbe grise, elle avait
Coutume de venir dès l’aube à mon chevet ;
Parfois, elle voulait m’attacher mon épée,
Et, de la dureté d’une boucle occupée,
Ou se piquant les doigts aux clous du ceinturon,
Elle riait. C’était le temps où mon clairon
Sonnait superbement à travers l’Italie.
Ma fille est maintenant sous terre, et nous oublie.
D’où vient qu’elle a quitté sa tâche, ô dure loi !
Et qu’elle dort déjà quand je veille encor, moi ?
La fille qui grandit sans la mère, chancelle.
Oh ! c’est triste, et je hais la mort. Pourquoi prend-elle
Cette jeune épousée et non mes pas tremblants ?
Pourquoi ces cheveux noirs et non mes cheveux blancs ? »
Et, pleurant, il offrait à l’enfant des dragées.
« Les choses ne sont pas ainsi bien arrangées ;
Celui qui fait le choix se trompe ; il serait mieux
Que l’enfant eût la mère et la tombe le vieux.
Mais de la mère au moins il sied qu’on se souvienne ;
Et, puisqu’elle a ma place, hélas ! je prends la sienne.
Vois donc le beau soleil et les fleurs dans les prés !
C’est par un jour pareil, les Grecs étant rentrés
Dans Smyrne, le plus grand de leurs ports maritimes,
Que, le bailli de Rhode et moi, nous les battîmes.
Mais regarde-moi donc tous ces beaux jouets-là !
Vois ce reître, on dirait un archer d’Attila.
Mais c’est qu’il est vêtu de soie et non de serge !
Et le chapeau d’argent de cette sainte Vierge !
Et ce bonhomme en or ! Ce n’est pas très-hideux.
Mais comme nous allons jouer demain tous deux !
Si ta mère était là, qu’elle serait contente !
Ah ! quand on est enfant, ce qui plaît, ce qui tente,
C’est un hochet qui sonne un moment dans la main,
Peu de chose le soir et rien le lendemain ;
Plus tard, on a le goût des soldats véritables,
Des palefrois battant du pied dans les étables,
Des drapeaux, des buccins jetant de longs éclats,
Des camps, et c’est toujours la même chose, hélas !
Sinon qu’alors on a du sang à ses chimères.
Tout est vain. C’est égal, je plains les pauvres mères
Qui laissent leurs enfants derrière elles ainsi. »
Ainsi parlait l’aïeul, l’œil de pleurs obscurci,
Souriant cependant, car telle est l’ombre humaine.
Tout à l’ajustement de son ange de reine,
Il habillait l’enfant, et, tandis qu’à genoux
Les servantes chaussaient ces pieds charmants et doux,
Et, les parfumant d’ambre, en lavaient la poussière,
Il nouait gauchement la petite brassière,
Ayant plus d’habitude aux chemises d’acier.