A la reine.
1660.
Grande reine, de qui les charmes
S’assujettissent tous les cœurs,
Et, de nos discordes vainqueurs,
Pour jamais ont tari nos larmes;
Princesse, qui voyez soupirer dans vos fers
Un roi qui de son nom remplit tout l’univers,
Et faisant son destin, faites celui du monde,
Régnez, belle Thérèse, en ces aimables lieux
Qu’arrose le cours de mon onde,
Et que doit éclairer le feu de vos beaux yeux.
Je suis la nymphe de la Seine :
C’est moi dont les illustres bords
Doivent posséder les trésors
Qui rendaient l’Espagne si vaine.
Ils sont des plus grands rois l’agréable séjour;
Ils le sont des plaisirs, ils le sont de l’Amour.
Il n’est rien de si doux que l’air qu’on y respire.
Je reçois les tributs de cent fleuves divers;
Mais de couler sous votre empire,
C’est plus que de régner sur l’empire des mers.
Oh! que bientôt sur mon rivage
On verra luire de beaux jours !
Oh! combien de nouveaux Amours
Me viennent des rives du Tage!
Que de nouvelles fleurs vont naître sous vos pas!
Que je vois après vous de grâces et d’appas
Qui s’en vont amener une saison nouvelle!
L’air sera toujours calme, et le ciel toujours clair;
Et près d’une saison si belle
L’âge d’or serait pris pour un siècle de fer.
Oh ! qu’après de rudes tempêtes
Il est agréable de voir
Que les Aquilons, sans pouvoir,
N’osent plus gronder sur nos têtes !
Que le repos est doux après de longs travaux !
Qu’on aime le plaisir qui suit beaucoup de maux!
Qu’après un long hiver le printemps a de charmes
Aussi, quoique ma joie excède mes souhaits,
Qui n’auroit point senti d’alarmes
Pourroit-i! bien juger des douceurs de la paix?
J’avais perdu toute espérance,
Tant chacun croyoit malaisé
Que jamais le ciel apaisé
Dût rendre le calme à la France :
Mes champs avaient perdu leurs moissons et leurs fleurs ;
Je roulois dans mon sein moins de flots que de pleurs ;
La tristesse et l’effroi dominaient sur mes rives ;
Chaque jour m’apportait quelques malheurs nouveaux ;
Mes nymphes pâles et craintives
A peine s’assuroient dans le fond de mes eaux.
De tant de malheurs affligée,
Je parus un jour sur mes bords,
Pensant aux funestes discords
Qui m’ont si longtemps outragée;
Lorsque d’un vol soudain je vis fondre des cieux
Amour, qui me flattant de la voix et des yeux :
« Triste nymphe, dit-il, ne te mets plus en peine;
« Je te prépare un sort si charmant et si doux,
« Que bientôt je veux que la Seine
« Rende tout l’univers de sa gloire jaloux.
« Je t’amène, après tant d’années,
« Une paix de qui les douceurs,
« Sans aueun mélange de pleurs,
« Feront couler tes destinées.
« Mais ce qui doit passer tes plus hardis souhaits,
« Une reine viendra sur les pas de la paix.
» Comme on voit le soleil marcher après l’aurore.
« Des rives du couchant elle prendra son cours,
« Et cet astre surpasse encore
« Celui que l’Orient voit naître tous les jours.
« Non que j’ignore la vaillance
« Et les miracles de ton roi;
« Et que, dans ce commun effroi,
« Je doive craindre pour la France.
« Je sais qu’il ne se plaît qu’au milieu des hasards;
« Que livrer des combats et forcer des remparts
« Sont de ses jeunes ans les délices suprêmes.
« Je sais tout ce qu’a fait son bras victorieux;
« Et que plusieurs de nos dieux mêmes
« Par de moindres exploits ont mérité les cieux.
« Mais c’est trop peu pour son courage
« De tous ces exploits inouis :
« Il faut désormais que Louis
« Entreprenne un plus grand ouvrage.
« Il n’a que trop tenté le hasard des combats;
« L’Espagne sait assez la valeur de son bras;
« Assez elle a fourni de lauriers à sa gloire :
« Il faut qu’il en exige autre chose en ce jour :
« Et que, pour dernière victoire,
* Elle fournisse encore un myrte à son amour.
« Thérèse est l’illustre conquête
« Où doivent tenter tous ses vœux :
« Jamais un myrte plus fameux
« Ne saurait couronner sa tête.
« Le ciel, qui les avait l’un pour l’autre formés,
« Voulut que d’un même or leurs jours fussent tramés.
« Elle est digne de lui comme il est digne d’elle.
« Des reines et des rois chacun est le plus grand;
« Et jamais conquête si belle
« Ne mérita les vœux d’un si grand conquérant.
« A son exemple, tous les princes
« Ne songeront plus désormais
« Qu’à faire refleurir la paix
« Et le calme dans leurs provinces.
« L’abondance partout ramènera les jeux;
« Les regrets et les soins s’enfuiront devant eux;
« Toutes craintes seront pour jamais étouffées.
« Les glaives renfermés ne verront plus le jour,
« Ou bien se verront en trophées,
« Par les mains de la Paix, consacrés à l’Amour.
« Cependant Louis et Thérèse
« Passeront leur âge en ces lieux;
« Et, plus satisfaits que les dieux,
« Boiront le nectar à leur aise.
« Je leur ferai cueillir, par de longues faveurs,
« Tout ce que mon empire a de fruits et de fleurs;
« Je bannirai loin d’eux tout sujet de tristesse;
« Je serai dans leur cœur, je serai dans leurs yeux,
« Et c’est pour les suivre sans cesse
« Que tu me vois quitter la demeure des cieux.
« Les plaisirs viendront sur mes traces
« Charmer tes peuples réjouis;
« La Victoire suivra LouIs,
« Thérèse amènera les Grâces.
« Les dieux mêmes viendront passer ici leurs jours.
« Ton repos en durée égalera ton cours.
« Mars de ses cruautés n’y fera plus d’épreuves;
« La gloire de ton nom remplira l’univers;
« Et la Seine sur tous les fleures
« Sera ce que Thétis est sur toutes les mers.
« Mais il est temps que je me rende
« Vers le bel astre de ton roi;
« Adieu Nymphe, console-toi
« Sur une espérance si grande.
« Thérèse va venir, ne répands plus de pleurs;
« Prépare seulement des lauriers et des fleurs,
« Afin d’en faire hommage à sa beauté supréme.
Ainsi finit Amour, me laissant à ces mots;
Et je courus, à l’heure même,
Conter mon aventure aux nymphes de mes flots.
O dieux! que la seule pensée
De voir un astre si charmant
Leur ft oublier promptement
Toute leur misère passée!
Que le Tage souffrit! quels furent ses transports,
Quand l’Amour lui ravit l’ornement de ses bords!
Et que pour lui la guerre eût été moins à craindre!
Ses nymphes, de regret, prirent toutes le deuil;
Et si leurs jours pouvaient s’éteindre,
La douleur aurait pu les conduire au cercueil.
Ce fut alors que les nuages
Dont nos jours étaient obscurcis
Devant sous furent éclaircis,
Et n’enfantèrent plus d’orages.
Nos maux de votre main eurent leur guérison;
Vos yeux d’un nouveau jour peignirent l’horizon;
La terre sous vos pas devint même fertile.
Le soleil, étonné de tant d’effets divers,
Eut peur de se voir inutile,
Et qu’un autre que lui n’éclairât l’univers.
L’impatiente Renommée
Ne pouvant cacher ses transports,
Vint m’entretenir sur ces bords
De l’objet qui l’avait charmée.
O dieux! que ses discours accrurent mes désirs!
Que je sentis dès lors de joie et de plaisirs
A vous ouir nommer si charmante et si belle!
Sa vois seule arrêta la course de mes eaux,
Les Zéphyrs, en foule autour d’elle,
Cessèrent pour l’ouïr d’agiter mes roseaux
Tout l’or dont se vante le Tage,
Tout ce que l’Inde sur ses bords
Vit jamais briller de trésors,
Semblait être sur mon rirage.
Qu’était-ce toutefois de ce grand appareil,
Dès qu’on jetait les yeux sur l’éclat nonpareil
Dont vos seules beautés vous avaient entourée?
Je sais bien que Junon parut moins belle aux dieux,
Et moins digne d’être adorée,
Lorsqu’en nouvelle reine elle entra dans les cieux.
Régnez donc, princesse adorable,
Sans jamais quitter le séjour
De ce beau rivage, où l’Amour
Vous doit être si favorable.
Si l’on en croit ce dieu, vous y devez cueillir
Des roses que sa main gardera de vieillir,
Et qui d’aucun hiver ne craindront l’insolence;
Tandis qu’un nouveau Mars, sorti de votre sein,
Ira couronner sa vaillance
De la palme qui croît aux rives du Jourdain.