Cela n’empêche pas le maître,
De continuer le festin.
On a vu Mocquart, disparaître ;
Espinasse est mort ce matin ;
Bineau suit Fortoul qui. l’appelle ;
Le fossoyeur a pris sa pelle ;
Apportez les bières de plomb ;
Fossoyeur, aide à les descendre,
Jette sur Morny de la cendre
Et de la fange sur Troplong.
Chacun son tour : Partez, complices.
Noir Saint-Arnaud au cœur d’acier,
Tu trébuches ; Magnan, tu glisses ;
Tu t’en vas, sanglant Pélissier.
Fould, la corruption est vraie,
Meurs. La mort fauche cette ivraie,
Comme les moissonneurs le blé ;
Billault tombe ; Delangle tombe ;
Dupin vient d’entrer dans la tombe,
Les vers de terre ont reculé.
Oh ! de Strasbourg jusqu’à Bayonne ’
Quelle fête, et comme on est gai !
Compiègne rit, Biarritz rayonne ;
Saint-Cloud de joie est fatigué.
Basile raille don Quichotte.
Un doux bruit de baisers chuchote –
Dans la molle fraîcheur des bois.
On trinque ; effusion touchante !
Et le guet-apens dit : Je chante !
Et le massacre-dit : Je bois !
La table est une grandè lyre ;
Tous mangent gloire aux dieux régnants !
Le vin d’où sort l’éclat de rire’
Luit dans les verres frissonnants ;
Les femmes ont la gorge nue ;
La fanfare dans l’avenue
Saute et bondit comme un esprit
Le bal tourbillonne en cadence ;
Et maintenant, tandis qu’on danse,
Et maintenant, pendant qu’on rit,
Morts, faites vos festins funèbres,
Dressez-vous sur votre séant,
Et d’abord, mangez des ténèbres,
Ensuite mangez du néant ;
Sous les ifs que le vent balance,
Mangez de l’oubli, du silence,
De l’horreur, de la surdité ;
Mangez, spectres et pourritures !
Emplissez vos bouches obscures
De l’ombre dè l’éternité.
H. H., 15 juin 1870.