C’est dans ces campagnes fleuries
Qu’on voit mille troupeaux errants
Aller, en cent lieux différents,
Ronger les trésors des prairies :
Les uns, charmés par leur aspect,
En retirent avec respect
Leurs dents comme incertaines;
Les autres, d’un cours diligent,
Vont boire en ces fontaines,
Qui semblent des coupes d’argent.

Là, l’on voit les grasses génisses
Se promenant à pas comptés,
Par des cris cent fois répétés
Témoigner leurs chastes délices;
Là, les brebis sur des buissons
Font pendre cent petits flocons
De leur neige luisante ;
Les agneaux aussi, bondissant
Sur la fleur renaissante,
Lui rendent leur culte innocent.

Là, l’on voit en troupes superbes
Les jeunes poulains indomptés,
Dessous leurs pas précipités
Faire à peine courber les herbes
Je vois ces jeunes furieux,
Qui semblent menacer les cieux
D’une tête hautaine
Et par de fiers hennissements,
S’élançant sur la plaine,
Défier les airs et les vents.

Mais quelle horrible violence
Pousse ces taureaux envieny
A troubler la paix de ces lieux
Sacrés aux charmes du silence ?
Déjà, transportés de courroux,
Et sous leurs pieds et sous leurs coups
Ils font gémir la terre;
Déjà leur mugissante voix,
Comme un bruyant tonnerre,
Fait trembler les monts et les bois.

Je vois déjà leur poil qui fume,
Leurs yeux semblent étincelants;
Leurs gosiers secs et pantelants
Jettent plus de feu que d’écume;
La rage excite leur vigueur;
Le vaineu redevient vainqueur;
Tout coup fait sa blessure:
Leur front entr’ouvert et fendu
Fait rougir la verdure
D’un sang pêle-mêle épandu.

Parfois, l’un fuyant en arrière
Se fait voir plus faible et plus lent;
Et puis revient, plus violent,
Décharger son âpre colère :
De même un torrent arrêté,
Qui d’abord suspend sa fierté,
Remonte vers sa source,
Et puis, redoublant en fureur,
Son indomptable course
Traîne le ravage et l’horreur.

Pendant cette rude tempête,
L’on voit les timides troupeaux
Attendre qui des deux rivaux
Les doit faire enfin sa conquête,
Mais déjà l’un, tout glorieux,
Fait, d’un effort victorieux,
Triompher sa furie :
L’autre, morne et plein de douleur,
Va loin de la prairie
Cacher sa honte et son malheur.

Mais quittons ces tristes spectacles,
Qui n’offrent rien que d’odieux,
Pour aller visiter des lieux
Où l’on ne voit que des miracles.
Muse, si ce combat affreux
T°a presque fait, malgré mes vœux,
Abandonner ces plaines,
Viens dans ces jardins, non de fleurs
Inutiles et vaines,
Mais d’inestimables douceurs.