Vieille plus vieille que le monde,
Vieille plus que l’ordure immunde,
Vieille plus que la Fièvre blesme,
Et plus morte que la Mort mesme,
Plus que la Fureur furieuse,
Et plus que l’Envie envieuse.
Tu es une attise-querelle,
Tu es sorcière et maquerelle,
Tu es hypocrite, et bigotte,
Et tousjours ta bouche marmotte
Je ne sçay quoy. Tu es au reste
Plus dangereuse que la peste.
Pour blesser une renommee
Avec ta langue envenimee,
Pour diffamer tout un lignage,
Pour troubler tout un voysinage,
Un royaume, une seigneurie,
Il ne fault point d’autre Furie.
Et toutefois, vieille Gorgone,
Toutefois, vieille Tysiphone,
Tu oses bien porter envie
Aux doulx passetemps de ma vie,
Et n’as honte, vieille prestresse,
De t’accoster de ma maistresse.
Tousjours, vieille, tu la conseilles,
Tousjours tu luy soufle’ aux oreilles
Quelque charme, pour en son ame
Esteindre l’amoureuse flamme,
Et pour empescher que la belle
Ne m’ayme, comme je fais elle.
Tu luy proposes l’infamie
D’une faulse langue ennemie,
La honte de son parentage,
La perte de son mariage,
Et mil’ autres maulx, qui arrivent
A celles qui l’amour ensuyvent.
Puis usant d’une autre finesse,
Tu viens à blasmer la jeunesse,
Et luy dis de nous autres hommes,
Que pour la plus grand’part nous sommes
En amours de léger courage,
Mais les plus jeunes d’avantage.
Lors tu mets en jeu quelque Moyne,
Ou quelque monsieur le Chanoyne,
Qui a force ducats en bourse,
Où il y a plus de ressource
Qu’en ces prodigues de gambades,
Qui ne donnent que des aubades.
Ainsi avecques mille ruses
La simplicité tu abuses
De ces pauvres filles craintives:
Mais celles qui sont plus rétives
A tes dévotes remonstrances
Plus horriblement tu les tences.
Tu les menaces d’une mere,
D’un frere, d’un oncle, d’un pere,
Si les pauvrettes n’abandonnent
Ces amoureux qui rien ne donnent,
Et puis s’en vantent par la ville,
S’ilz trouvent quelque mal’habile.
Tu leur dis qu’elles sont charmees,
Et qu’elles ne sont point aymees,
Semant dedans leur fantasie
Une graine de jalousie,
Qui empoisonne les pensees
De ces chétives insensees.
Tu dis que tu sçais la maniere
De rendre une ame prisonniere,
Ou de la rendre desliee.
S’il luy fasche d’estre oubliee,
Et que pour monstrer ta science
Tu en feras l’expérience.
Et vrayment, vieille enchanteresse,
J’apperçoy bien que ma maistresse
Ne me faict plus si bonne chere
Qu’elle souloit, et que légère
Elle retire sa pensee
De qui ne l’a point offensee.
Mais je ne m’en donne merveille,
Veu que tu es la nompareille
En toutes manières de charmes,
Et que souvent de telles armes
Tu as gasté mainte famille,
Et seduit mainte pauvre fille.
Tu peulx destourner en arriere
Du ciel la course coustumiere,
Tu peulx ensaglanter la Lune,
Tu peulx tirer soubs la nuict brune
Les umbres de leur sepulture,
Et faire force à la nature.
Tu peulx faire, si bon te semble,
Que soubs tes pieds la terre tremble,
Que les fleuves contre leur source
Tournent la bride de leur course,
Et que les arbres des montagnes
Descendent au bas des campagnes.
Ores tu marches solitère
Parmy l’horreur d’un cimitère,
Or autour d’une croix celee
Tu guides toute eschevelee
Le bal que la Sorciere meine
Le dernier jour de la semaine.
Par toy les vignes sont gelees
Par toy les plaines sont greslees,
Par toy les arbres se démentent,
Par toy les laboureurs lamentent
Leurs bledz perdus, et par toy pleurent
Les bergers leurs troppeaux qui meurent.
Tu peulx faire tout ce dommage,
Et peulx encores d’avantage:
Mais pour esteindre dans une ame
L’ardeur d’une amoureuse flamme,
Tu n’as recepte plus certaine
Que ton regard et ton haleine.