Comme le temps est court qu’on passe sur la terre
Si peu de matins vifs,
Si peu de rêverie heureuse et solitaire
Dans des jardins naïfs ;

Si peu de la jeunesse, et si peu de surprise,
De beaux jeux excitants,
Comme le premier soir où l’on a vu Venise,
Où l’on entend Tristan !

Hélas ! ne pouvoir dire au temps fougueux d’attendre,
« Ne me détruisez pas !
Les autres qui viendront ne seront pas plus tendres,
N’ont pas de plus doux bras.

« Elles ne diront rien que ma voix, avant elles,
N’ait chaudement tracé ;
Qu’importent leurs chansons de douces tourterelles,
Leur cœur est dépassé ! »

Ah ! qu’encor, que toujours je m’unisse à mon rêve
Ailé, brusque et brûlant,
Comme l’ivre Léda s’abat et se soulève
Près de son cygne blanc !

— Mais vous serez dissous, cœur éclatant et sombre,
Vous serez l’herbe et l’eau,
Et vos humains chéris n’entendront plus dans l’ombre
Votre éternel sanglot…