I LA MARQUISE ANTOINETTE
Un salon.
ANTOINETTE, marquise ayant épousé un vieux. Autrefois grisette. Trente ans.
ADOLPHE, bon état. Dix-huit ans.
ADOLPHE, à part.
Elle est seule.
LA MARQUISE ANTOINETTE, à part.
C’est lui.
ADOLPHE, à part.
Profitons du moment.
Il s’arrête et l’admire.
Qu’elle est belle !
ANTOINETTE, sans se déranger de son attitude.
Bonjour, Adolphe.
A part.
Il est charmant.
ADOLPHE, à part.
C’est l’étoile Vénus !
I1 salue.
Madame la marquise…
A part.
Comme elle est adorable et comme elle est exquise
Avec son bras ainsi ployé sous le menton !
ANTOINETTE
Que dit-on de nouveau ?
ADOLPHE,
L’amiral Codrington
Vient de battre les turcs à Navarin.
ANTOINETTE
Adôlphe,
Qu’est-ce que c’est que ça, Navarin ?
ADOLPHE
C’est un golfe.
ANTOINETTE
En France ?
ADOLPHE
Non. En Grèce.
ANTOINETTE
Ah ! bien.
ADOLPHE
Au fond, Pylos,
Au premier plan, la baie avec quelques îlots,
Voa Navarin. Or…
A part.
Quel regard, quelle taille !
Balbutiant.
Madame…
ANTOINETTE
Nous parlions, je crois, de la
bataille…
ADOLPHE
De Codringtôn. Non pas, Navarin !
A part.
Je suis fou.
Je patauge.
Haut.
On était dans les eaux de Corfou ;
On savait que les turcs, non sans quelque mystère,
Avaient quitté Cythère…
ANTOINETTE
Ah ! qu’est-ce que Cythère ?
ADOLPHE
C’est une île. Cythère, autrement Cérigo.
On y peut cultiver le poivre et l’indigo.
Cette île sert aux turcs de poste et de caverne.
Sinan Cigale dit : Cythère est la lanterne
De l’Archipel.
ANTOINETTE, distraite.
Ainsi — l’amiral…
ADOLPHE
Codrington.
ANTOINETTE
Après ?
ADOLPHE
Le vingt octobre, au point du jour, dit-on,
Les flottes ont quitté le mouillage de Zante.
La marine ottomane était molle et pesante,
Le système des turcs était de r
efuser…
ANTOINETTE
Un baiser ! je crois bien.
ADOLPHE
Ce n’est pas un baiser,
C’est le combat.
ANTOINETTE
C’est vrai. Vous disiez ? le système
Des turcs…
ADOLPHE
Je ne sais plus où j’en étais…
LE DIABLE, dans le trou du souffleur.
Je t’aime !
ADOLPHE
Je t’aime !
ANTOINETTE, à part.
Allons donc !
Haut.
Ciel ! monsieur, que faites-vous ?
Si vous ne lâchez pas sur-le-champ mes genoux,
Ce que vous faites là, monsieur, n’est pas honnête !
Je vais sonner, monsieur !
LE DIABLE, à part.
J’ai cassé la sonnette.
ADOLPHE
Je t’aime !
ANTOINETTE
Taisez-vous !
ADOLPHE
Je meurs d’amour !
ANTOINETTE
Tais-toi !
ADOLPHE
Madame, ayez pitié ! J’ai le cœur plein d’effroi !
Laissez-vous adorer ainsi qu’une madone !
Si tu savais ! je sens ma tête en feu. Pardonne !
Oh ! laisse-moi mourir à tes pieds !
ANTOINETTE
Dans mes bras !
LE DIABLE
J’ai cru que le crétin ne s’en tirerait pas.
Il ne savait d’abord pas un mot de son rôle.
On entend un bruit de baiser.
Rêvant et riant.
Sans nous le monde est bête, avec nous il est drôle.
II IDYLLE
Un bois.
LISE
Puisque votre regard m’apparaît dans l’aurore,
ALBERT
Puisqu’en vos yeux je crois voir une étoile éclore,
LISE
Puisque je veux rester et fuir quand je vous vois,
ALBERT
Puisqu’une lyre est moins douce que votre voix,
LISE
Puisqu’à vos pieds les cœurs font des battements d’ai
les,
ALBERT
Puisque vous êtes belle entre toutes les belles,
LISE
Puisque l’oiseau ne peut chanter sans vous nommer,
ALBERT
Puisque je ne puis faire autrement que t’aimer,
LISE
Je dis que l’air est frais,
ALBERT
Je dis que l’onde est pure,
LISE
Je vois un grand sourire au fond de la nature,
ALBERT
Je te prends et t’épouse,
LISE
Et de toi je fais choix,
ALBERT
Et je dis que je veux m’en aller dans les bois.
Moment de rêverie.
Viens.
Est-ce pour jamais ?
ALBERT
Oui. Donne ta main blanche.
Ils s’enfoncent dans la
forêt.
ÉROS
LISE
Cœur, aie un seul amour !
PAN
Arbre, une seule branche ?
C’est malaisé.
LE DIABLE, dans l’ombre.
Léandre aime à cette heure Héro.
Lise aime Albert. La suite au prochain numéro.
25 mars 1874.
III COCARDE ET LOUCHON
LOUCHON
Paul est roux.
COCARDE
Jean est laid.
LOUCHON,
Paul me bat.
COCARDE
Jean me rosse.
LOUCHON
Paul, s’il n’était bandit, serait bête féroce.
COCARDE
Tout l’hiver Jean se grise.
LOUCHON
Et Paul boit tout
l’été.
COCARDE
Jean a mis mes effets au mont-de-piété.
LOUCHON
Lorsqu’il tonne et qu’il pleut chez moi, c’est Paul qui souffle.
COCARDE
Jean est un chenapan.
LOUCHON
Et Paul est un maroufle.
COCARDE
Je le déclare ici, ce drôle est mon vainqueur.
LOUCHON.
J’aime cette canaille au fin fond de mon cœur.
IV AU LUXEMBOURG
Un banc. Deux astronomes.
PREMIER ASTRONOME
L’équinoxe ravage affreusement nos côtes.
DEUXIÈME ASTRONOME
Le vent est vicieux. Il fait beaucoup de fautes.
PREMIER ASTRONOME
L’homme se met en route et se trompe souvent.
DEUXIÈME ASTRONOME
Notre vie est de l’eau conduite par
du vent.
Sur un autre banc. Des invalides causent.
UN INVALIDE
Tout est en feu.
UN AUTRE
Depuis Berlin jusqu’en Sicile !
UN AUTRE
Faire rentrer Bellone en cage est difficile.
UN AUTRE
Il faut faire la paix avec cet animal
De roi de Prusse.
UN AUTRE
À bas la guerre !
UN AUTRE
Tout va mal.
UN AUTRE
L’empereur ne sait plus où donner de la tête.
UN RÊVEUR, passant.
Les rois lâchent la guerre et c’est Dieu qui l’arrête.
Sur un autre banc. Deux étudiants.
LE PREMIER ÉTUDIANT
Que lis-tu ? Cujas ?
LE DEUXIÈME
Non. Je lis Dante et Lucain :
Mon père est royaliste et moi républicain.
C’est sa faute. Il m’envoie à Paris. Je m’y forme.
J’y grandis. Je m’emplis de la lumière énorme,
Et j’étais paysan et je suis citoyen.
Sur un autre banc. Deux prêtres.
L’ABBÉ CARON
Fils, le but, c’est l’église, et Dieu c’est le moyen ;
Cela n’empêche pas Dieu d’être Dieu ; mais ; prêtres,
Nous sommes serviteurs avant d’être les maîtres ;
Le prêtre est roi, depuis Moïse et Salomon ;
Ce qu’on nomme l’esprit humain, é’est le démôn ;
La raison est un mot que le dogme rature ;
Et c’est pourquoi souvent, corrigeant la nature,
Ce que le ciel permet, le prêtre le défend ;
Quand on entend parler le diable dans l’enfant,
Il faut sévir, il faut lui dire de se taire.
L’ABBÉ DE LAMENNAIS
Et c’est ainsi qu’étant Porée, on fait Voltaire.
Sur un autre banc.
UN VIEILLARD
Vous donnez une charte au peuple ; qui se perd,
Pour qu’il soit sage. Eh bien, c’est terrible, il s’en sert…
UN AUTRE VIEILLARD
Pour être libre.
Sous les arbres.
UNE JEUNE FILLE
Non !
UN JEUNE HOMME
Que le sein soit de marbre,
C’est bien, mais pas le cœur.
LA JEUNE FILLE
Laissez-moi !
LE JEUNE HOMME
Sous un arbre
On s’emb
rasse.
LA JEUNE FILLE
Embrassez. — Mais pas comme cela.
LE JEUNE HOMME
LA JEUNE FILLE
Non !
Dans une allée.
UN ENFANT, à une boule qu’il fait rouler.
Je ne veux pas que vous alliez par là !
25 juin 1876.
V LE MENDIANT
Devant la vitre éclairée de la chambre où un jeune homme s’habille
pour le bal masqué.
Fort bien. Habillez-vous. — Tiens, c’est le mardi gras !
Rions. Ne soyons point à la jeunesse ingrats.
Il faut se divertir et que le temps se passe.
Vous avez su tirer d’un vieil oncle rapace
Si !
Vingt écus ; vous allez les boire en une nuit.
Habillez-vous, jeune homme ! à grands cris, à grand bruit !
Sonnez tous vos laquais et vos valets de chambre !
-Bourguignon, mon pourpoint ! Picard, ma boîte d’ambre !
Chaussez-moi ! rasez-moi ! peignez-moi ! — C’est cela.
Que vous êtes galant sous l’habit que voilà !
Cambrez la taille un peu. Mettez-vous une mouche,
Comme fait Jeanneton, sur le coin de la bouche.
Le flot de rubans. — Bien. — Et l’air impertinent.
Cela sied. — Le manteau, les gants, et maintenant
L’épée avec sa pomme à mettre des pistaches. —
Que de cœurs suspendus au croc de vos mousta
ches !
Que de femmes vont dire :. Adorable seigneur !
Vous avez tout, jeunesse, et richesse, et bonheur ;
Tout est pour vous, bosquets fleuris, tendres trophées,
C’est bien. On vous dirait habillé par les fées,
Et vous êtes toujours au bal un des premiers
Riez. — Un jour les ans viendront, lourds costumiers ;
Maladie et vieillesse, habilleuses sinistres,
Éteindront vos regards sous d’affreux cercles bistres,
Vous ôteront la grâce, et vous mettront,, ô deuil !
Un dôme sur le dos, une loupe sur l’œil,
Une bouche sans dents qui dira : soyons sage !.
Un gros nez, un gros ventre, et sur ce frais visage,
Doux, superbe, adoré de toutes nos houris,
Un vieux masque obstrué d’un buisson de poils gris.
Alors, désespéré, tordant vos mains fiévreuses,
Fuyant les miroirs pleins de visions affreuses,
Aussi lugubre à voir que vous étiez charmant,
Sans pouvoir arracher votre déguisement,
Domino ridicule et chassé des quadrilles,
Voyant les beaux garçons sourire aux belles filles,
Vous irez, trouble fête, errer au milieu d’eux,
Jusqu’à ce que ce spectre, autre masque hideux,
Sans nez, sans yeux, montrant toutes ses dents sans rire,
Qui vient nous chercher tous et par le bras nous tire,
Vous jette un soir, d’un coup de sa fourche de fer,
Dans ce noir carnaval qu’on appelle l’enfer !
Elle, c’est le printemps ; pluie et soleil ; je l’aime ;
Je m’y suis fait.
Un jour, elle me dit :
-Quand même
On est tout seul, les bois sont doux. Les belles eaux !
La campagne me plaît à cause des oiseaux.
Ecoutons-les chanter.
Moi, l’âme épanouie,
J’écoutais. —
— Les oiseaux, dit-elle, ça m’ennuie.
Jouons.
— Aux cartes ?
— Non.
— A quoi ?
-Je hais le jeu.
Causons. Le jaune est laid, je préfère le bleu.
— Je suis de ton avis.
— Toujours dans les extrêmes !
— Le bleu, dis-je, c’est beau.
— Pourquoi ?
-D’abord, tu l’aimes.
Ensuite, c’est le ciel.
Mais le jaune ; `c’est l’or :
— Va pour le jaune.
— Il est de mon avis encor !
C’est assommant !
-Faisons la paix.
— Je te pardonne.
Un autre jour :
— Ami, viens, je me sens très bonne,
Le temps est beau, sortons à pied. —
Comme j’offrais
Mon landau :
-Non, dit-elle, il faut, par ce vent frais,
Marcher, rôder, courir au bois à l’aven
ture. —
On s’habille, on descend.
-Où donc est la voiture ?
— Mais tu voulais sortir à pied.
-A pied, jamais !
Marcher par ce vent froid ! fi donc ! —
Je me soumets.
On attelle.
-Voici le landau.
— Pourquoi faire ?
— Mais, pour sortir.
— Tords-moi le cou, je le préfère.
Ah çà ! tu veux sortir par cet horrible temps ! —
Un autre jour :
— Nos cœurs, dit-elle, sont contents.
Ami, j’ignore tout, mais je suis ta servante.
Puisque je sais aimer, je suis assez savante.
Je t’adore. Mon dieu, c’est toi. —
Le lendemain,
Un grand soufflet sortit de sa petite main,
Et tomba sur ma joue.
-Hé ! dis-je.
— Bagatelle !
Viens m’embrasser. Comment me trouves-tu ? dit-elle.
-Charmante ! —
Et c’est ainsi que je m’accoutumai
Aux inégalités d’humeur du mois de mai.
24 juillet 186…
VII IDYLLE DE LA RUE N.D. DE LORETTE
— Six amants ! — Cela fait crier ?
— A la fois ? — Pourquoi pas ? Coquette,
Pourquoi Psaphon ? — C’est un poète.
— Pourquoi Dimas ? — C’est un banquier.
— Et Grib, l’affreux casse-noisette
Plus noirci que son encrier ?
— Diable ! il écrit dans la gazette.
— Pourquoi Senex, le maltôtier ?
— Avoir un vieux, c’est mon système.
— Et Mars ? — C’est un beau grenadier.
— Et moi, madame ? — Ah ! toi ! je t’aime.
Avril 1849.
VIII Une rue
(Une rue, la nuit.)
MILLION
Vois-je point là dans l’ombre un homme titubant ?
CROQUEFER
Quel est ce gredin triste accroupi sur un banc ?
MILLION
Qui vive ?
CROQUEFER
Qui va là, sans lanterne, à l
a brune ?
MILLION
Empereur de la Chiner.
CROQUEFER
Empereur de, la luné !
Ils se reconnaissent :
MILLION
C’est toi, drôle ?
CROQUEFER
C’est toi, canaille ! — touche là.
Ils se serrent la main.
MILLION
Que viens-tu faire ici ?
CROQUEFER
J’allais comme cela
Devant moi, trébuchant dans l’obscurité grande.
Dieu ! quelle sombre nuit ! Cartouche avec sa bande
A passé par ici. N’ayant pas, le coquin ;
Trouvé de pauvre diable à qui prendre un sequin,
Ayant aux carrefours en vain tendu ses toiles,
Il a pillé le ciel et volé les étoiles.
-Toi, que faisais-tu là ?
MILLION
-Je rêvais.
CROQUEFER
O vertus !
Sais-tu, mortel rêveur, que nous sommes vêtus
Comme d’affreux laquais payés à coups de gaules,
Et qu’on voit des haillons flotter sur nos
épaules ?
MILLION
Vicomte, je le sais.
CROQUEFER
Tu le sais, et c’est tout !
Et rien dans ton cerveau ne s’indigne et ne bout !
Ô vrai sage ! ô poëte ! ô le plus grand des hommes !
Gueux, et — tout bonnement rêveur !
MILLION
Mon cher, nous sommes
Riches. Oui, nous avons le ciel bleu, le grand air,
La forêt où l’oiseau chante, et, par Jupiter !
La fierté qu’on éprouve à marcher dans les plaines
Librement ! — Nous avons l’été, les nuits sereines,
La lune se mirant dans le fleuve argenté…
CROQUEFER
J’aimerais mieux dix sous.
MILLION
Tu n’es pas dégoûté !
IX SUSURRANT VOCES
LA CHEMINÉE
Du bois ! j’ai froid.
LA VITRE
Je gèle, et la bise est bourrue.
UN COMMANDEMENT D’HUISSIER
Songe à la provi
dence !
LA MONTRE
Elle demeure rue
Paradis, au Marais, et se nomme…
UN VIEUX CLOU ROUILLÉ DANS LA CLOISON
Le clou.
UN VOLUME D’ANDRÉ CHÉNIER OUVERT SUR LA TABLE
Voix du ciel, bruits divins, chantez !
LISETTE, frappant à la porte.
Pan ! pan !
Chut !
UNE BOUTEILLE
LE BONHEUR
LA PORTE
Glou glou.
Je bâille.
LE COFFRE
LE TROU DE LA SERRURE
Je regarde.
LE MUR
J’écoute.
LE LIT
Je m’appelle l’amour.
L’OREILLER
Je m’appelle le doute.
LA CHANDELLE
Le soleil a beaucoup de
taches.
LA TRANCHE DE JAMBON
Le laurier
Fut créé pour le porc.
LA TABLE
Je porte l’encrier,
Ce nid tout noir d’où sort l’idée aux ailes blanches.
LE PUPITRE
Le trône et le cercueil sont faits de quatre planches.
UN TOME DÉPAREILLÉ DE BOSSUET
Disparaissez, Vishnou, Bel, Jupiter, Mithra !
Saint-Pierre seul gouverne et règne…
Je ris.
LA PANTOUFLE
Et cætera.
Gloire au pied nu d’Anna !
LA SAVATE
Le pied se change en patte.
UN BUSTE SUR LA CHEMINÉE
Tout commence à pantoufle et finit à savate.
9 décembre 1853.
X Sylvia
SYLVIA
On prétend, Sylvio, que toujours je vous aime.
SYLVIO
On conte, Sylvia, que partout je vous
suis.
SYLVIA
Je vous donne mes jours !
SYLVIO
Ô ma beauté suprême !
Gardez les jours, donnez les nuits !
XI André et Lise
ANDRÉ
Je te jure un amour-éternel !
LISE, souriant.
Calme-toi !
Parlons net. Et soyons fripons de bonne foi.
ANDRÉ
Lise !
LISE, caressante.
Dispense-toi, cher amant, de poursuivre.
André, pour de l’or faux je donne du vrai cuivre ;
Des serments d’un menteur mon cœur est peu friand ;
Je suis franchement fourbe, et je paye en riant
Tes écoute-s’il-pleut, d’un va-t’en-voir-s’ils-viennent.
Fous qui font des serments et niais qui les tiennent !
Tu me feras des traits et je te les rendrai.
André brûle pour Lise et Lise adore André,
Mais Lise berne André comme André trompe Lise.
Amour est notre autel, Caprice est notre église ;
On se suit aujourd’hui pour se quitter demain ;
D’ailleurs, être autrement, c’est n’avoir rien d’humain ;
La passion finit par une pirouette ;
Homme veut dire vent et femme gir
ouette.
Aimons-nous, puisque c’est la meilleure façon
D’unir ta perfidie avec ma trahison,
Mais ne nous gênons point et ne soyons point dupes.
Pas de glu sur ta plume et de plomb à mes jupes.
André, soyons heureux ; de plus soyons joyeux.
Quel bête de bandeau l’Amour a sur les yeux !
Ôtons-le-lui, veux-tu ? Voyons clair dans nos âmes.
Il faut pour faire un feu toutes sortes de flammes,
Et pour faire un destin toutes sortes d’amours.
Les cœurs toujours constants sont aveugles et sourds.
L’œil qui n’a plus d’éclair, l’esprit qui n’a plus d’aile,
Meurt, et c’est être infirme enfin qu’être fidèle.
Gaîment on se retrouve après qu’on se perdit.
Hein ? Soyons bonne femme et bon homme. Est-ce dit ?
La douce main d’amour n’est point une tenaille.
Aimons-nous. Trompons-nous.
ANDRÉ
J’y consens.
LISE, furieuse.
Ah ! canaille !
XII ENTRE LE ZIST ET LE ZEST
LE MARQUIS GRUCCIA. — BARACCA, jolie femme (Zist).
STRUBBLE (Zest).
BARACCA
Qu’est Strubble ?
GRUCCIA
Mon ami.
BARACCA
Moi, je suis ton
amante.
Parbleu.
Strubble est laid.
BARACCA
GRUCCIA
Certe !
BARACCA
Et moi je suis…
GRUCCIA, avec un baiser.
Charmante !
BARACCA
Strubble est chauve, et moi j’ai des cheveux.
Elle laisse tomber sa chevelure blonde sur ses épaules nues.
GRUCCIA
Apollo
N’est pas plus coiffé d’or alors qu’il sort de l’eau.
Tes cheveux sur ton front sont comme un flot d’aurore.
BARACCA
Il ressemble à Midas.
GRUCCIA
Tu ressembles à Flore.
Il est bête.
À peu près :
BARACCA
GRUCCIA
BARACCA
J’ai de l’esprit.
GRUCCIA
Tout
plein.
BARACCA
Il a le ton sec.
GRUCCIA
Dur.
BARACCA
J’ai le parler…
GRUCCIA
Câlin.
BARACCA
Son odeur !
GRUCCIA
On le flaire, et, toi, l’on te devine.
Galamment.
Ainsi, quand Vénus marche, elle apparaît divine.
BARACCA
Il est mal fait.
GRUCCIA
Bossu.
BARACCA
Triste !…
Elle rii.
Et vois-ma gaîté !
GRUCCIA
Il se nomme laideur, tu t’appelles beauté !
BARACCA
C’est un homme épineux, piquant, pointu, morose,
Désagréable. Il est le chardon !
GRUCCIA
Toi l
a rose.
BARACCA
M’aimes-tu ?
GRUCCIA
BARACCA
Eh bien, rien à demi.
Choisis de ta maîtresse ou bien de ton ami.
Strubble ou moi. L’un des deux est de trop. Et c’est l’heure
Qu’il faut que l’un s’en aille et que l’autre demeure.
Entre la belle fille et l’affreux vieux garçon,
Décide. Strubble ou moi quitterons la maison.
Choisis. Moi d’un côté, de l’autre cette brute.
GRUCCIA
Mais je n’hésite pas, mon ange, une minute.
Je te flanque à la porte.
Baracca se lève indignée et sort sans le regarder.
Il reste seul.