On dit bien vrai, la mauvaise Fortune
Ne vient jamais qu’elle n’en apporte une
Ou deux ou trois avecques elle : Sire.
Votre cœur noble en saurait bien que dire ;
Et moi, chétif, qui ne suis Roi ne rien,
L’ai éprouvé, et vous compterai bien,
Si vous voulez, comme vint la besogne.

J’avais un jour un valet Gascogne,
Gourmand, ivrogne, et assuré menteur,
Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart de cent pas à la ronde,
Au demeurant, le meilleur fils du monde,

Prisé, loué, fort estimé des filles
Par les bordeaux, et beau joueur de quilles.
Ce vénérable hillot fut averti
De quelque argent que m’aviez départi,
Et que ma bourse avait grosse apostume ;
Si se leva plus tôt que de coutume,
Et me va prendre en tapinois icelle,
Puis vous la mit très-bien sous son aisselle
Argent et tout, cela se doit entendre,
Et ne crois point que ce fut pour la rendre,
Car oncques puis n’en ai ouï parler.

Bref, le vilain ne s’en voulut aller
Pour si petit ; mais encore il me happe
Saie et bonnet, chausses, pourpoint et cape ;
De mes habits en effet il pilla
Tous les plus beaux, et puis s’en habilla
Si justement, qu’à le voir ainsi être,
Vous l’eussiez pris en plein jour pour son maître.

Finalement, de ma chambre il s’en va
Droit à l’étable, où deux chevaux trouva ;
Laisse le pire, et sur le meilleur monte,
Pique et s’en va. Pour abréger le compte,
Soyez certain qu’au partir du dit lieu
N’oublia rien fors qu’à me dire adieu.

Ainsi s’en va, chatouilleux de la gorge,
Ledit valet, monté comme un saint Georges,
Et vous laissa Monsieur dormir son soul,
Qui au réveil n’eut su finer d’un soul.
Ce Monsieur-là, Sire, c’était moi-même,
Qui, sans mentir, fus au matin bien blême,
Quand je me vis sans honnête vêture,
Et fort fâché de perdre ma monture ;
Mais de l’argent que vous m’aviez donné,
Je ne fus point de le perdre étonné :
Car votre argent, très-débonnaire prince,
Sans point de faute est sujet à la pince.

Bientôt après cette fortune-là,
Une autre pire encore se mêla
De m’assaillir, et chaque jour m’assaut,
Me menaçant de me donner le saut,
Et de ce saut m’envoyer à l’envers
Rimer sous terre et y faire des vers.

C’est une longue et lourde maladie
De trois bons mois, qui m’a tant étourdie
La pauvre têle et ne veut terminer;
Ains me contraint d’apprendre à cheminer,
Tant faible suis; bref à ce triste corps
Dont je vous parle, il n’est de même fort
Le pauvre esprit qui lamente et soupire
Et en pleurant tâche à vous faire rire.

Voila comment depuis neuf mois en ca
Je suis traité: or ce que me laissa
Mon larronneau, longtemps jà, l’ai vendu,
Et en sirops et juleps dépendu.
Ce néanmoins ce que je vous en mande
N’est pour vous faire ou requeste ou demande.
Je ne veux point tant de gens ressembler,
Qui n’ont souci autre que d’assembler.
Tant qu’ils vivront, ils demanderont, eux;
Mais je commence à devenir honteux,
Et ne veux plus à vos dons m’arrêter.

Je ne dis pas, si voulez rien prêter,
Que ne le prenne : il n’est point de prêteur,
S’il veut prêter, qui ne fasse un debteur.
Et savez-vous, Sire, comment je paie?
Nul ne le sait si premier ne l’essaie.
Vous me devrez, si je puis, du retour,
Et vous ferai encores un bon tour;
A cette fin qu’il n’y ait faute nulle,
Je vous ferai une belle cédule
A vous payer, sans usure s’entend,
Quand on verra tout le monde content;
Ou si voulez, à payer ce sera
Quand votre los et renom cessera.

Je sais assez que vous n’avez pas peur
Que je m’enfuie ou que je sois trompeur :
Mais il fait bon assurer ce qu’on prête.
Bref, votre paie, ainsi que je l’arrête,
Est aussi sûre, avenant mon trépas,
Avisez donc si vous avez désir
De me prêter; vous me ferez plaisir.
Car depuis peu j’ai bâti à Clément,
Là où l’ai fait un grand déboursement;
Et à Marot qui est un peu plus loin,
Tout tombera, qui n’en aura le soin.
Voilà le point principal de ma lettre;
Vous savez tout : il n’y faut plus rien mettre.
Rien mettre; las! certes, et si ferai,
Et si faisant mon style hausserai;
Disant : ô Roi, amoureux des neuf Muses,
Roi, en qui sont leurs sciences infuses,
Roi, plus que Mars d’honneur environné,
Roi, le plus roi qui fut one couronné !
Dieu tout-puissant te doint pour t’étrenner,
Les quatre coins du monde à gouverner,
Tant pour le bien de la ronde machine,
Que pour autant que sur tous en es digne.