Gautier, doux enchanteur à la parole fière,
Habile à susciter les contours précieux
Des apparitions qui flottaient dans tes yeux,
Tu fis avec bonté ton œuvre de lumière.

Le royal talisman, le prompt évocateur,
Le Verbe arma la bouche abondante en images;
Mieux que l’anneau mystique et la verge des Mages
La parole servit ton vouloir créateur.

La parole est divine et contient toutes choses.
Heureux qui, pour fixer son rêve intérieur,
Employa sans faillir la forme et la lueur
Dans le cristal des sons fatalement encloses!

Heureux qui fit couler, à flots, de son pressoir,
Comme un vin d’Engaddi, les mots dont on s’enivre,
Et qui, pour célébrer le triomphe de vivre,
De rythmes parfumés remplit son encensoir.

Heureux qui, comme Adam, entre les quatre fleuves,
Sut nommer par leur nom les choses qu’il sut voir,
Et de qui l’écriture est un puissant miroir
Fidèle à les garder immortellement neuves!

Car après que cet homme a fini ses travaux
Et que les belles mains de la Tristesse calme
Ont posé fermement la couronne et la palme
Sur sa bière livrée aux lents et noirs chevaux,

Il vit épars en nous sur la terre chérie;
Son essence à nos yeux charmés, en songes clairs,
En chastes visions, dans la douceur des airs
Flotte, et l’heure présente en est toute fleurie.

Il se mêle, subtil, au jour que nous voyons,
Et vient nous affranchir du temps et de l’espace;
Un frisson glorieux saisit nos cœurs, où passe
Son Ame dispersée en ses créations.

Son souffle sibyllin autour de nous fait natre
Un astre enchanté, plein de suaves couleurs,
De parfums, de regards, de sourires, de pleurs,
Et multiplie en nous la joie immense d’être.

Que pour nous l’univers se baigne tout entier
Des effluves charmants de la pensée humaine!
Que sur tous les chemins où le destin nous mêne
Tes apparitions se lèvent, ô Gautier!