Il s’assied sous un hêtre ; il murmure J’oublie.
Oubliez. Oublions. — Douce mélancolie ! –
Puis, tendre, il prend sa flûte et soupire :
— Ô proscrits !
Pyrame aima Thisbé. Céphale aima Procris,
Je vous aime. Accourez. Bannis, je vous appelle.
Amnistie est un mot singulier que j’épelle ;
Je ne sais pas très bien ce qu’il veut dire : Et vous ?
Mais je vous aime. L’ombre est tiède, l’air est doux.
Proscrits, je songe à vous dans ma joie innocente ;
Pour que je sois heureux il faut que je vous sente
Respirer le même air que moi dans les vallons.
Revenez. Je le sais, les jours d’exil sont longs.
Il est temps qu’enfin moi, vous, vos fils, vos compagnes,
Nous allions tous ensemble errer dans les campagnes
Et que nous écoutions sous les mêmes berceaux
Et sous le même ciel le même chant d’oiseaux.
Il est temps que je dise à mon Pinard fidèle
Tiens ! voici le proscrit, et voici l’hirondelle !
Dieu te ramène l’une, et moi l’autre. Exilés,
Prenez la clef des champs dans mon trousseau de clés ;
L’air du pays. natal plaît à l’âme des sages ;
Les champs vous calmeront. Beauté des paysages !
Moi César, devant qui Béhic est à genoux,
Chers bannis, je vous rends la patrie. Aimons-nous.
Revenez. Craignez Nous que mes chiens ne vous mordent ?
Non. Mon sénat est doux. Les cœurs enfin s’accordent,
Et de boucher je suis redevenu berger.
Plus de banni dehors, dedans plus d’étranger,
Je suis français. Amis, j’ai quitté mon écorce ;
Car pour-être français et cesser d’être corse,
Il suffit que l’é manque ou que l’i soit ôté ;
Moi je suis Bonaparte et non Buonaparté.
Conti, l’homme par qui le vrai chez moi pénètre,
Se change en monsieur Conte et Piétri 42 devient piètre.
Donc, nous serons français, vous vivrez sous mes lois.
Accourez dans mes bras. Ainsi les vieux gaulois
Se réconciliaient trinquant sous la tonnelle ;
Le fond du verre était garni de pimprenelle.
Mon âme en sa beauté s’offre à vos yeux. Hélas !
Laissez-vous attendrir, proscrits. Quand Ménélas
Vit le sein nu d’Hélène, il jeta son épée.
Ma molle rêverie est de vous occupée.
Ingrats, vous détournez les yeux de mes appas.
J’ai beaucoup de Parieux, de Fialins, de Maupas,
De juges, de soldats, et de billets de banque ;
Mais proscrits, vous absents, quelque chose me manque.
Je ne sais ce que j’ai, je fuis dans les forêts.
En vain le Moniteur m’arrive, humide et frais,
J’ai beau suivre aux prés. verts la vache aisée à traire,
Et songer au budget ; j’ai beau pour me distraire
Laisser errer mes yeux sur lecrâne poli
Du maréchal Regnault de Saint-Jean-d’Angely ;
En vain je verse Aÿ, Nuits, Sauterne, Alicante
A Rouher qui me fait l’effet d’une bacchante ;
Boudet en vain me suit, poussant de longs abois ;
En vain je vois Troplong sourire au fond des bois ;
En vain tous mes curés sur qui vous vous trompâtes,
Tous mes évêques, gros et gras, joignent leurs pattes,
Et font un hourvari de prières ; en vain.
Romieu le faune, en vain Bacciochi le sylvain
Soufflent éperdûment dans leurs buccins de cuivre ;
En vain Morny, buvant ; aimable, sanglant, ivre,
Sur son char attelé de tigres, passe au fond
Du hallier où Dodone avec Bondy se fond ;
Aux applaudissements des nymphes familières,
En vain, le thyrse en main, ventru, coiffé de lierres,
Baroche énorme et gai vient monté sur Nisard ;
En vain Delangle est bête, en vain Fould est gueusard ;
Je suis triste. Je sens du vague. Chaix-d’Est-Ange
M’ennuie ; et par moments je me-tourne : — Qu’entends-je ?
Est-ce leur pas ? vont-ils revenir, mes bannis ? —
Oh ! revenez ! Avril gazouille dans les nids,
Toutes les fleurs des bois mêlent leurs aromates,
Venez ! pontons, cachots, poucettes, casemates,
Cayenne, Lambessa, j’oublierai.tout. Venez !
Quand même on me mettrait-Fould en fleur sous le nez,
Quand Suin décolleté montrerait ses-épaules,
Quand Glandaz et Leboeuf, pleureurs comme ’deux saules,
Me chanteraient Dunois sur la muse de blé, —
Mon vide, je le sens ne serait pas comblé.
Il me faut mes proscrits, mes proscrits à moi. Certe,
Je suis grand, mais sans vous la patrie ést déserte.
Rentrez. Plus d’exil. Joie et chansons ! Doux émoi !
Vous me contemplerez ayant autour de moi
Boitelle, Martinprey, Forey, Magnan et Magne ;
Ainsi les’ douze pairs entouraient Charlemagne :
Vous verrez mon petit apprendre l’A’B C.
Voyons, finissons-en, liquidons le passé.
Vous étiez endormis ; j’ai surpris, vos vedettes.
Si l’on n’est empereur, comment payer ses dettes ?
Il le fallait Le Louvre exempte de Clichy,
Un parvenu n’est rien s’il n’est un enrichi.
Comprenez. Vous savez, il vous passe une idée.
La Françe était en vie et je l’ai poignardée,
J’en conviens, j’ai commis ce péché véniel,
Avec Canrobert, Korte,Espinasse et Niel.
La République un jour s’éveilla désarmée,
Et me vit souriant, debout, mèche allumée ;
J’ai tiré le canon, puis on s’est tenu coi ;
J’avais peut-être un peu juré je ne sais quoi,
Mais à tous ces vieux faits qu’est-ce qui s’intéresse ?
Ce fut un coup de force avec, un tour d’adresse ;
Je fus Machiavel compliqué d’Auriol ;
Vous étiez la loi, soit, et je fus le viol..
N’en-parlons plus. Je hais les choses éternelles,
Elles sont sans-pitié, l’implacable est en elles.
L’enfer dirait Toujours, mais moi je dis Assez !
Je vous ai mitraillés, traqués, bannis, chassés,
Dispersés, comme un tas de cendre dans l’espace,
Volés, assassinés… – Eh bien, je vous fais grâce !