À mesure qu’au loin s’éclipse
La plaine effacée au regard,
Toute une sombre apocalypse
Apparaît à l’homme hagard.
Tous ces fantômes que, sans nombre,
Produit le soir qui s’assombrit,
L’entourent, et, sortant de l’ombre,
Entrent en foule en son esprit.
Noir cerveau sur qui Dieu surplombe,
Il rêve ce que Jean rêva,
Le jour qui fuit, la nuit qui tombe,
La mort qui vient, l’homme qui va…
Devant sa paupière enflammée,
Sur un fond morne. et sans rayons,
Comme les flots d’une fumée,
Passent les lentes visions.
La destinée à lui se montre.
Il croit entrevoir, en fuyant
Les pâles spectres qu’il rencontre,
Quelque paysage effrayant.
Il songe effaré ! Tout se lève,
Tout retombe, tout a flotté.
Il ne sait plus si c’est lé rêve
Ou si c’est la réalité.
Puis tout prend forme, tout se range
Comme en un enfer douloureux,
Et tout dans cette brume étrange
Devient distinct, et reste affreux.
Il voit les fortunes humaines
Comme un taillis vertigineux
Où resplendit l’oeil des sirènes
Sous des branchages épineux :
Il plonge son regard qui brille
Dans ce gouffre aux aspects mouvants,
Dàns ces ténèbres où fourmille
L’aveugle foule des vivants.
À travers l’ombre et ses embûches,
Il entend bruire leurs voix
Comme des essaims dans les ruches,
Comme des oiseaux dans les bois.
Chacun travaille, loi tracée
Par Dieu même à l’homme maudit !
L’un son champ, l’autre sa pensée.
L’un creuse, l’autre approfondit.
Tous vont cherchant, aucun ne trouve.
Le ciel semble à leur désespoir
Noir comme l’antre d’une louve,
Au fond d’un bois, l’hiver, le soir.
Où vont-ils ? vers la mêrne porte.
Que sont-ils ? les flots d’ùn torrent.
Que disent-ils ? la nuit l’emporte.
Que font-ils ? la tombe le prend.
Un vent, comme le jonc flexible ;
Les courbe tons ; jeunes et vieux.
Oh ! de quelle bouche invisible
Souffle ce vent mystérieux !