L’histoire du poème Liberté de Paul Eluard

25 mai 2025

Le succès du poème Liberté est né dans l’ombre de la guerre. Nous sommes en 1940 : la France est vaincue, l’armistice du 25 juin signé, Paris sous occupation. C’est dans ce contexte que Paul Éluard, poète déjà reconnu, entre dans la résistance. En silence d’abord, avec les mots pour seules armes.

Démobilisé, il retrouve sa compagne Nusch dans une ville vidée de ses repères. Paris n’est plus le centre bouillonnant qu’il a connu. Ses amis surréalistes ont fui, se sont exilés, parfois dispersés par les circonstances. Pendant des mois, il n’écrit plus. Ce n’est qu’à la fin de l’année 1941 que les mots reviennent. Des mots de colère, de refus, de mémoire. Il commence à publier clandestinement ses premiers poèmes de résistance. Il dénonce la collaboration, célèbre ceux qui osent dire non, et préserve la mémoire des martyrs et des fusillés. Il entretient l’espoir. Éluard s’engage activement dans le Comité national des écrivains, où il contribue à faire vivre une littérature souterraine, libre.

En 1942, Éluard publie un recueil intitulé Poésie et Vérité. Et dès la première page, un poème frappe : Liberté. Ce poème, qui ouvre le recueil, incarne un message de lutte et d’espoir dans une France occupée et divisée.

À l’origine, ce poème portait un autre titre : Une seule pensée. Éluard commence ce poème en 1941, inspiré par sa compagne Nusch. Son idée initiale : conclure le texte en dévoilant son nom, comme une déclaration intime. Mais l’année suivante, tout bascule. L’oppression devient plus forte, l’espoir plus faible. Le poème change de nature. Il sera finalement dédié à un idéal, et en portera le nom. Il s’intitulera Liberté.

Plus tard, Éluard expliquera : « Je pensais révéler pour conclure le nom de la femme que j’aimais, à qui ce poème était destiné. Mais je me suis vite aperçu que le seul mot que j’avais en tête était le mot Liberté. Ainsi, la femme que j’aimais incarnait un désir plus grand qu’elle. Je la confondais avec mon aspiration la plus sublime, et ce mot Liberté n’était lui-même dans tout mon poème que pour éterniser une très simple volonté, très quotidienne, très appliquée, celle de se libérer de l’Occupant ».

Publié sous le manteau, recopié, diffusé… Liberté circule d’abord dans la zone libre, puis gagne toute l’Europe, relayé par les tracts, les radios clandestines, les journaux de l’ombre. En juin 1942, la revue Fontaine publie le poème sous son titre initial, Une seule pensée, et permet ainsi sa diffusion dans la zone sud. À Londres, les réseaux gaullistes s’en emparent. La France libre, leur revue officielle, le publie à son tour. Et un jour de cette même année, la Royal Air Force parachute le poème au-dessus du sol français, à des milliers d’exemplaires, glissé parmi les armes et les munitions.

Né d’un élan intime, Liberté est devenu un poème universel. Porté par celles et ceux qui y ont vu un espoir plus grand qu’eux, il s’est transformé en hymne, en symbole. Il a traversé les époques, inspiré les luttes, rappelant une chose essentielle : écrire, c’est encore une manière de se tenir debout. Un classique de la littérature française est né.

Maintenant que vous en connaissez l’histoire, laissez les mots de Liberté vous toucher autrement. Et pour aller plus loin, explorez notre article sur les poèmes les plus connus de Paul Eluard.

Liberté de Paul Eluard

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.