Nous étions quatre autour d’une table,
Buvant du vin rouge et chantant,
Quand nous en avions envie.
Une giroflée flétrie dans un jardin à l’abandon,
Le souvenir d’une robe au détour d’une allée,
Une persienne battant la façade.
Le premier dit : « Le monde est vaste et le vin est bon,
Vaste est mon cœur et bon mon sang,
Pourquoi mes mains et mon cœur sont-ils vides ? »
Un soir d’été le chant des rameurs sur une rivière,
Le reflet des grands peupliers,
Et la sirène d’un remorqueur demandant l’écluse.
Le second dit : « J’ai rencontré une fontaine,
L’eau était fraîche et parfumée,
Je ne sais plus où elle est et tous quatre nous mourrons ».
Que les ruisseaux sont beaux dans les villes,
Par un matin d’avril,
Quand ils charrient des arcs-en-ciel.
Le troisième dit : « Nous sommes nés depuis peu,
Et déjà nous avons pas mal de souvenirs,
Mais je veux les oublier. »
Un escalier plein d’ombre,
Une porte mal fermée,
Une femme surprise nue.
Le quatrième dit : « Quels souvenirs ?
Cet instant est un bivouac
Ô mes amis nous allons nous séparer. »
La nuit tombe sur un carrefour,
La première lumière dans la campagne,
L’odeur des herbes qui brûlent.
Nous nous quittâmes tous les quatre.
Lequel étais-je et qu’ai-je dit ?
C’était un jour du temps passé.
La croupe luisante d’un cheval,
Le cri d’un oiseau dans la nuit,
Le clapotis des fleuves sous les ponts.
L’un des quatre est mort,
Deux autres ne valent guère mieux,
Mais je suis bien vivant et je crois que c’est pour longtemps.
Les collines couvertes de thym,
La vieille cour moussue,
L’ancienne rue qui conduisait aux forêts.
Ô vie, ô hommes, amitiés renaissantes,
Et tout le sang du monde circulant dans des veines,
Dans des veines différentes mais des veines d’hommes, d’hommes sur la terre.