On allait oublier les filles de Mémoire :
Et parmi les mortels
L’Ignorance et l’Erreur allaient ternir leur gloire,
Et briser leurs autels:
Il fallait qu’un héros, de qui la terre entière
Admire les exploits,
Leur offrit un asile, et fournit de matière
A leurs divines voix.
Elles étaient au ciel; et la nymphe qui vole
Et qui parle toujours
Ne les vit pas plutôt, qu’elle prit la parole,
Et leur tint ce discours :
« Puisqu’un nouvel Auguste aux rives de la Seine
« Vous appelle en ce jour,
« Muses, pour voir Louis, abandonnez sans peine
« Le céleste séjour.
« Aussi bien voyez-vous que plusieurs des dieux même,
« De sa gloire éblouis,
« Prisent moins le nectar que le plaisir extrême
« D’être auprès de Louis.
« A peine marchait-il, que la fille sacrée
« Qui se plaît aux combats,
« Et Thémis, qui préside aux balances d’Astrée,
« Conduisirent ses pas.
« Les Vertus, qui dès lors suivirent leur exemple,
« Virent avec plaisir
« Que le cœur de Louis était le plus beau temple
« Qu’elles pussent choisir.
« Aussi prompte que tous, nous vîmes la Victoire
« Suivre ses étendards,
« Jurant qu’à si haut point elle mettrait sa gloire,
« Qu’on le prendrait pour Mars.
« On sait qu’elle marchait devant cet Alexandre,
« Et que plus d’une fois
« Elle arrêta la Paix toute prête à descendre
« Sur l’empire francois.
« Mais enfin ce héros, plus craint que le tonnerre,
« Après tant de hauts faits
« A trouvé moins de gloire à conquérir la terre
« Qu’à ramener la Paix.
« Ainsi, près de Louis, cette aimable déesse
« Etablit son séjour;
« Et de mille autres dieux, qui la suivent sans cesse,
« Elle peupla sa cour.
« Entre les déités dont l’immortelle gloire
« Parut en ces bas lieux,
« On vit venir Thérèse; et sa beauté fit croire
« Qu’elle venait des cieux.
« Vous-même, en la voyant, avoûrez que l’aurore
« Jette moins de clartés,
« Eût-elle tout l’éclat et les habits encore
« Dont vous la revêtez.
« Mais, quoique dans la paix Louis semble se plaire,
« Quel orgueil aveuglé
« Osera s’exposer aux traits de sa colère
« Sans en être accablé?
« Ah! si ce grand héros vous paraît plein de charmes
« Dans le sein de la pais,
« Que vos yeux le verront terrible sous les armes,
« S’il les reprend jamais!
« Vous le verrez voler, plus vite que la foudre,
« Au milieu des hasards,
« Faire ouvrir les cités, ou renverser en poudre
« Leurs superbes remparts.
« Qu’il fera beau chanter tant d’illustres merveilles
« Et de faits inouïs!
« Et qu’en si beau sujet vous plairez aux oreilles
« Des peuples de Louis!
« Songez de quelle ardeur vous serez échauffées,
« Quand, pour vous écouter,
« Vous trouverez ce prince à l’ombre des trophées
« Qu’il viendra de planter!
« Ainsi le grand Achille, assis près des murailles
« Où l’on pleurait Hector,
« De ses braves aieux écoutait les batailles,
Et les siennes encor.
« Quoi que fasse Louis, soit en paix, soit en guerre,
« Il vous peut inspirer
« Des chants harmonieux qui de toute la terre
« Vous feront admirer.
« Qu’on ne nous parle plus de l’amant d’Eurydice:
« Quoi qu’on dise de lui,
« Le Strymon n’a rien vu que la Seine ne puisse
« Voir encore aujourd’hui.
« Je vous promets bien plus : la Fortune, sensible
« A des charmes si doux,
« Laissera désormais la rigueur inflexible
« Qu’elle eut toujours pour vous.
« En vain de vos lauriers on se parait la tête;
« Et vos chantres fameux
« Étaient les plus sujets aux coups de la tempête,
« Et les plus malheureux.
« C’est en vain qu’autrefois les lions et les arbres
« Vous suivaient pas à pas :
« La Fortune, toujours plus dure que les marbres,
« Ne s’en émouvait pas.
« Mais ne la craignons plus : Louis contre sa haine
« Vous protége aujourd’hui;
« Et près de cet Auguste, un illustre Mécène!
« Vous promet son appui.
« Les soins de ce grand homme apaiseront la rage
« De vos fiers ennemis;
« Et quoi qu’il vous promette, il fera davantage
« Qu’il ne vous a promis.
« Venez donc, puisque enfin vous ne sauriez élire
« Un plus charmant séjour
« Que d’être auprès d’un roi dont le mérite attire
« Tant de dieux à sa cour.
« Moi-même auprès de lui je ferais ma demeure,
« Si ses exploits divers
« Ne me contraignaient pas de voler à toute heure
« Au bout de l’univers. »
La finit son discours, et la troupe immortelle
Qui l’avait écouté
Voulut voir le héros que la nymphe fidèle
Leur avait tant vante.
Sa présence effaça dans leur âme charmée
Le souvenir des cieux;
Et, dans le même instant, la prompte Renommée
L’alla dire en tous lieux.