Revenez, troupes fugitives,
Plaisirs, Jeux, Grâces, Ris,
Amours, Qui croyiez déjà sur nos rives
Entendre le bruit des tambours :
Louis vit, et la perfidie
De l’insolente maladie
Qui l’avait osé menacer,
Pareille à ces coups de tonnerre
Qui ne font que bruire et passer,
N’a fait qu’épouvanter la terre.
Mais vous ne sauriez vous résoudre
A venir sitôt en des lieux
Où vous avez cru que la foudre
Était prête à tomber des cieux;
Et dans la frayeur où vous êtes,
Vous avez beau voir sur vos têtes
Le ciel tout à fait éclairci,
Vous ne vous rassurez qu’à peine,
Et n’osez plus paraître ici
Que Louis ne vous y ramène.
Tel, sur l’empire de Neptune,
Parait le timide nocher
Qu’un excès de bonne fortune
A sauvé d’un affreux rocher :
Ses yeux , où la mort parait peinte,
Regardent longtemps avec crainte
L’horrible sommet de l’écueil;
Et le voyant si redoutable,
Il tremble encore; et le cercueil
Lui parait presque inévitable.
Mais, à moins que d’être insensible
Pouvait-on n’être point troublé ?
Malgré leur constance invincible,
Les Vertus mêmes ont tremblé
Elles craignaient que l’Injustice
Levant toute barrière au Vice,
Ne leur fit des maux inouis;
Et sous la conduite d’Astrée,
Si nous eussions perdu Louis,
Allaient quitter cette contrée.
Vous savez que s’il vous caresse
Pour se délasser quelquefois,
Il donne toute sa tendresse
Aux vertus dignes des grands rois
Et qu’il suit bien d’autres maximes
Que ces princes peu magnanimes,
Qui n’aspirent à rien de beau,
Qu’un honteux loisir empoisonne,
Et qu’on voit descendre au tombeau
Sans être pleurés de personne.
En cette aventure funeste
Tout le monde a versé des pleurs;
Jamais la colère céleste
N’avait plus effrayé les cœurs :
Non pas même au temps de nos pères
Lorsque les destins trop sévères
Éteignirent ce beau soleil,
Henri, dont l’éclat admirable
Promettait un siècle pareil
A celui que chante la fable.
Ce que ni l’aïeul ni le père
N’ont point fait au siècle passé,
Aujourd’hui la France l’espère
Du grand roi qu’ils nous ont laissé
Et si la Fortune irritée,
Par une fin précipitée
Eût traversé notre repos,
Nous pourrions bien dire à cette heure
Que le ciel donne les héros
Seulement afin qu’on les pleure.
Je sais que sa gloire devance
Le cours ordinaire du temps,
Et que sa merveilleuse enfance
Est pleine d’exploits éclatants;
Qu’il a plus forcé de murailles,
Plus gagné d’illustres batailles,
Que n’ont fait les plus vieux guerriers :
Aussi les Parques étonnées
Croyaient, en comptant ses lauriers,
Qu’il avait vécu trop d’années.
Mais enfin, quoique la Victoire
S’empresse à le couvrir d’honneur,
Il n’est point content de sa gloire,
S’il n’achève notre bonheur:
Il veut que par toute la France
La paix ramène l’abondance,
Et prévienne tous nos besoins;
Que les biens nous cherchent en foule,
Et que sans murmures ni soins
Son aimable règne s’écoule.
Qu’il vive donc, et qu’il jouisse
Des fruits de sa haute valeur :
Que devant lui s’évanouisse
Toute apparence de douleur :
Qu’auprès des beaux yeux de Thérèse
Son grand cœur respire à son aise,
Et que de leurs chastes amours
Naisse une famille féconde
A qui, comblé d’heur et de jours,
Il puisse partager le monde.
Et vous, conspirez à sa joie,
Amours, Jeux, Ris, Grâces, Plaisirs,
Et que chacun de vous s’emploie
A satisfaire ses désirs:
Empêchez que son grand courage,
Qui dans mille travaux l’engage,
Ne le fasse trop tôt vieillir:
Rendez ses beaux jours toujours calmes,
Et faites-lui toujours cueillir
Autant de roses que de palmes.