François Mauriac vient de terminer dans la N. R. F. la publication d’un roman d’une haute envergure morale, et, s’il est vrai que la morale est à la base de l’être entier, et juge non seulement la qualité, mais encore la substance et le poids de nos sentiments, d’une haute classe littéraire. Je crois que François Mauriac ne se sera vraiment trouvé qu’à partir du Fleuve de feu. Car c’est le premier livre où il aura réussi à opérer autour de trois ou quatre figures centrales, et suffisamment représentatives, le rassemblement de ses forces sensibles, de sa haute impressionnabilité.
Le catholicisme est la pierre angulaire de son talent. Il alimente et approfondit la matière de ses sensations, que le goût du péché pimente. La préoccupation du péché, cette espèce d’angle moral sous lequel Mauriac nous force à considérer chacun des gestes de ses personnages, confère à ces personnages, et au déploiement de l’atmosphère où ils se meuvent, un haut sens humain qui creuse et sensibilise leurs actions. En face de leurs moindres élans, l’idée du péché agit par rapport à nous, lecteurs, à la façon d’un réactif. On peut mettre le Fleuve de feu à côté d’Aimée de Jacques Rivière. Il y a entre ces deux livres toute la distance qui sépare une opération chirurgicale des épanchements du confessionnal. Jacques Rivière semble travailler sur une espèce de matière morte dont chacun des états serait à tout jamais déterminé. François Mauriac ne renonce rien de la vie, de cette espèce d’attraction sensible que possèdent nos gestes, les plus abjectes impulsions de notre âme, quand on veut bien les considérer sur le plan des principes supérieurs qui les conditionnent.