ÉPÎTRE.

Il s’agit d’une fête à célébrer. C’est bon.
Comment s’y prendre afin d’avoir beaucoup de joie ?
On a de l’argent bien ; mais il faut qu’on l’emploie.
Vous avez une idée excellente : – Parbleu,
Illuminons la ville. Ayons tout au milieu
Un gros feu d’artifice avec des ifs superbes,
Des serpenteaux faisant de grands zigzags, des gerbes.
Comme ce sera beau ! le ciel sera très noir. –
Vous ne songez qu’au feu que vous allez avoir ;
L’eau se fâche, et voilà qu’il pleut sur vos fusées ;
Vos lampions fumants empestent vos croisées.
Vos gerbes sous l’averse ont l’air de lumignons.
C’est fort beau tout de même en dépit des grognons
Qui bougonnent : « J’ai froid. C’est manqué. Ça m’assomme » .
Une autre bonne idée est de donner la somme
Entière, avec l’espoir que Dieu dira merci,
Aux pauvres ; et notez cet avantage-ci,
C’est que le mauvais temps ne gâte point la fête.
Pour que l’humanité soit complète et divine,
C’est peu qu’elle triomphe, il faut qu’elle ait raison ;
Heureux celui qui plaint les vaincus ! il devine
Ce que pense quelqu’un derrière l’horizon.
Les vaincus d’on ne sait quelle guerre inconnue
Ce sont les animaux ; vénérons leur malheur ;
La victoire par trop d’orgueil se diminue,
Et l’on n’est le plus fort qu’en étant le meilleur.

D’ailleurs connaissons-nous les horizons de l’ombre ?
Et nous, qui sommes-nous ? Nos ports sont nos écueils.
Songeons au ciel ; tâchons que cette aurore sombre
Si noire en nos berceaux, soit blanche en nos cercueils.