Nous devenons bon prince et nous changeons de sphère.
L’empire est libéral. Diable ! qu’allons-nous faire
De tous les vieux grédins du coup d’état ? Jésus !
Les vendre ? quel rabais ! comme on perdrait dessus !
Le Deux-Décembre est mort. Le Deux-Janvier l’enterre.
Ils sont tous là, Piétri, -Fleury ; bon militaire,
Quentin-Bauchart, Haussmann, en pleurs, les goussets pleins.
Hélas ! irons-nous perdre aux bois ces orphelins ?
La forêt dé Bondy pourrait les reconnaître.
Mais eux, quel abandon ! Pourquoi Dieu fit-il naître
Tous ces pauvres coquins dont pas un n’est répu,
Puisqù’il voulait jouer au crime interrompu !
L’esclave usé n’est point d’une bonne défaite :
Un vieux préfet orné de sa vieille préfète
Fait aux passants l’effet d’un ancien falbala.
On ne vend point Rouland comme on vendrait Lola.
Ferez-vous acheter bien cher par le Khédive
Suin mirant aux lacs bleus sa beauté ’maladive ?
Rouher en femme, certe, aurait beaucôup d’appas,
Mais faites-moi sultan ; et je n’en voudrai pas.
Faut-il mettre au sérail ou bien mettre à la broche
Cette grasse blancheur qui s’appelle Baroche ?
Pour l’oreille aussi bien que pour le traquenard,
Un reste d’Espinasse est visible en Pinard,
Le négocierez-vous ? Ce sont vos odalisques ;
Mais au marché d’Alep, la ville aux ’obélisques,
Le turc obscène exige un plus joli bétail.
Quand même il cacherait derrière l’éventail
Son ceil noir enflammé d’une fureur jalouse,
Grandperret n’aura pas le flou d’une andalouse.
A vos soudards fanés, à vos vétérans saurs.
Croit-on qu’Abdul-Azis offre des huit ressorts ?
Rigolboche et Toinon feraient mieux son affaire.
Où caser un héros fourbu qui se déferre ?
Personne n’en voudra. Pas même un maquignon.
Ce qui fut hier chance est ’aujourd’hui guignon.
Tel est le sort. Maupas a perdù tous’ ses charmes.
Nul ne jette un regard d’amour aux vieux gendarmes.
Alignez d’un côté du bazar un troupeau
D’anciens sabreurs sans dents en culotte de peau,
Un tas d’hommes d’état, fêlés, hors de service,
Faisant une grimace affreuse et tendre au vice,
Foreys, Palikaos, Chaix-d’Est-Anges, Marnas,
Que les bagnes un jour reprendront aux sénats,

Bavards brodés, tueurs dorés, gueux et ganaches,
Portant tous les mépris avec tous les panaches ;
Puis de l’autre côté mettez un fol essaim
De jeunes belles point avares de leur sein,
Montrant leur torse ainsi qu’Astarté dans la Bible,
Et dépensant le plus de nudité possible
A l’éblouissement des passants enivrés,
Et maintenant prenez. l’homme que vous voudrez,
Je gage Persigny contre Fialin que l’homme
Offrira, quel qu’il soit, une plus forte somme
Pour les nez retroussés que pour les crânes nus,
Et, lascif, à Parieu préférera Vénus.
Aphrodite voguant blonde et rose en sa conque
Éclipsera toujours un Mimerel quelconque ;
Tout le conseil d’état qu’on paie un million

Serait coté deux sous à l’hôtel Bullion,
L’empereur aurait beau leur dire à tous ma chère !
Ils réussiraient moins que Trinette à l’enchère,
Quoique le coup d’état leur ait pris le menton ;
Et Zangiacomi ne vaut pas Margoton.
Habillez Gilardin en jeune mariée,
Puis essayez d’aller le vendre à la criée !
Je doute que Barnum offre un prix insensé.
Brocantez Canrobert. Quot libras in duce ? 82
Nubar -l’égyptien est un mortel lubrique,.
J’y consens, mais j’ai beau tâcher d’être lyrique,
je ne vois pas d’ici Nubar faire joujou
Avec Bonjean voulant un meuble en acajou.
J’ouvre un concours, j’y mets mademoiselle Fiocre,
Boudet en maillot rose y sera médiocre,
Et Larabit fort laid, quand même Larabit
Ôterait sa culotte en gardant son habit.
Je craindrai pour l’Huys beaucoup de cœurs de roche
Et fort peu d’acheteurs, hélas, si l’on rapproche
Du frais museau d’Anna le grouin de l’Huys.
Pensez-vous qu’une foule aux regards éblouis
Ira darder sa flamme et braquer ses lorgnettes
Sur Delesvaux cambré cognant des castagnettes ?
Jeanne avec son cancan fera sur un pacha
Plus d’effet que Piétri dansant la cachucha.
Entre Ida fraîche éclose et Nisard qui se gâte,
Qui donc hésiterait ? Et moi qui parle, en hâte,
Certes, je donnerais, malgré leur teint bruni,
Goyon, Korte et Leboeuf pour Blanche d’Antigny.

H. H. 2 janvier 1870.