I

L’empire est un succès. Quel beau commencement !
Paris vaut une messe et coûte un faux serment ;
Ce n’est pas cher. Seize ans de gloire ! une jonchée
De lauriers et de fleurs, et l’histoire est trichée.
Tant pis pour elle. Hurrah. ! plus d’émeute à Roubaix.
Le sultan à la France offre huit chevaux bais ;
On en attellera le carrosse du sacre.
Nul revenant ne vient rabâcher le massacre ;
Les morts du Deux-Décembre ont le sommeil profond.
Les institutions de bienfaisance vont,
Et Saint-François-Régis sourit dans l’atmosphère.
Le crédit mobilier est une bonne affaire
Pour les Pereire ; et Fould, quoique mort, est vivant
Dans tout ce qu’on achète et dans tout ce qu’on vend,
Compris la conscience, é’t dans les phénomènes,
De l’enregistrement, du’ timbre et des domaines.
L’emprunt met une pièce aux déficits. Fort-bien.
Le vieux Paris, Sauvai, Du Breul, Félibien,
Se sauvent effarés devant Haussmann qui pioche.
Au bambino du ciél l’empire offre son mioche 58 ;
Le pape, doux parrain, donne un récépissé.
Le droit est un vieux mot, peu su, mal prononcé

La justice est un pont qu’on passe avec péage ;
Quand les Commùniqués pleuvent, c’est un nuage
De vérités qui crève, et, nôn sans quelque ennui,
Le journal se secoue, arrosé malgré lui ;
L’honneur, qui pour bien vivre a plus d’une recette,
Est un fils que Tartuffe eut jadis de Macette
Quant à la probité, c’est une bague au doigt ;
Ayez cet ornement, si bon vous semble. On voit
Le temps qu’il fait au juge ainsi qu’au baromètre.
Tout ce qu’un crime ’peut au bon ordre promettre,
L’empire l’a tenu. Le peuple est au repos ;
Les’Turennes manquant, on a des chassepots ;
Tout rit. L’esprit humain est las ; l’armée.est.forte.
Lui, règne.
Mais Dieu dit : Le châtiment m’importe.
Nous l’aurons.

II

Vous l’avez. Que vous faut-il de plus ?
Quoi donc ! ne voit-on pas commencer le reflux ?
Hier triste, Aujourd’hui lugubre, et Demain pire.
Derrière ce châssis mal peint qu’on nomme empire,
Les ténèbres ; un puits d’ignorance, un cachot
D’opprobre, en bas la faim, la banqueroute en haut,
Paphos pourrie offerte à ceux qui rêvaient Sparte,
Deuil, cendre, et tout au fond l’accusé Bonaparte ;
Si Won tâche de voir un peu l’autre côté
Du triomphe, et l’envers de la prospérité,
On aperçoit cela. Que vous faut-il encore ?
Le hibou ne croasse et Troplong ne pérore
Que la nuit. La nuit sourde est leur milieu joyeux.
Donc il fait nuit. Voyez la lueur de leurs yeux.
Sans doute on parle fort dans-les régions hautes
Des succès qu’on remporte, ici, là, sur ces côtes,
Dans ce désert, là-bas, en Cochinchine, ailleurs,
Partout ; on a de quoi se railler des railleurs,
On -est vêtu de pourpre, et l’historiographe
Du manteau de César pourra dorer l’agrafe.
Bien. Soit. — Tournez la page et voyez le verso..
Le sépulcre est déjà visible en ce berceau.

Nous eûmes du bonheur au jeu ; mais notre caisse
A des fêlures, fuit, penche, et son niveau baisse
Comme une eau qui se vide en d’obscurs entonnoirs ;
L’azur du Livre Bleu se pique de points noirs ;
Sadowa nous surprend, Luxembourg nous échappe ;
Que faire ? s’incliner. La Providence frappe.
La main est divine. Oui. Le soufflet est prussien.
Notre pape in petto, le petit Lucien,
A tout l’air d’un fruit sec. Du Vulturne à la Sprée,
Toute la monarchie en masse est délabrée.
Czars mal portants, sultans malades, archiducs
Peu chanceux, pape aveugle et sanglant, rois caducs.
Est-ce que ces voleurs de peuples, ces gueux princes,
Ces. grecs du trône, entr’eux s’escroquant des provinces,
N’entendent point craquer sous leurs pas le plancher ?
Mané Thécel Pharès commence à s’ébaucher.
Couza fuit, François fuit, Maximilien,tombe.
Le trône est une trappe ouverte sur la tombe..
Le dur Mexique lutte armé du talion,
Car la louve espagnole allaita ce lion,
Et sa liberté fauve ignore la clémence ;
Dans cette ombre, hélas, erre une femme en démence ;
Les contre-coups lointains deviennent sérieux
Et, dans on ne sait quel brouillard mystérieux
Où pleure Hécube, ou rit Cassandre, où rôde Électre,
L’empereur assassin songe à l’empereur spectre.
Il décline par où naguère il triomphait.
Que de revers ! Comptez. Qu’est-ce que, son forfait ?
Un cachot sur nos fronts ; sous ses pieds un abîme.
Il sent se lézarder sinistrement son crime.,
N’est-ce, pas assez ?
— Non.
— Que voulez-vous donc?
— Tout.

III

Tout. Les tyrans à bas et les hommes debout.
Tout. La fin. Ce qu’il faut à notre âpre insomnie,
C’est la captivité du genre humain finie,
C’est le souffle orageux des clairons, c’est l’écho
Des trompettes jetant à terre Jéricho,
C’est le débordement des Tibres et des Rhônes,
C’est l’écroulement vaste et farouche des trônes,
C’est leur dernière armée en fuite à l’horizon !
Ce qu’il nous faut, c’est l’âme écrasant sa prison,
C’est le peuple arrachant sa chaîne avec furie,
C’est l’Amour criant : Guerre ! et la sainte Patrie
Criant : Peuples, j’abdique, et suis l’Humanité !
C’est la Paix disant : Passe avant moi, Liberté !
C’est en nos cœurs gonflés la colère profonde,
C’est l’épée en nos mains pour délivrer le monde,
C’est l’imbécile amas des rois séditieux
A nos pieds, et l’aurore immense dans les cieux !

H. H. 2 décembre 1867.